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génèse de Soy Imperfecta, rencontre avec Trace(s) en Poudre

lundi 16 août 2004, par Jérôme Thiébaut

Quand s’est formée la compagnie ?

Aurélie Gard : En 1999. On s’est rencontré avec Nath au lycée à Aurillac. J’étais dans une section « art dramatique » et Nath dans une section « art plastique ». Comme on habitait dans cette ville, on vivait dans le monde du théâtre de rue et de fil en aiguille on a monté notre compagnie.
Nath Bruère : J’étais en maîtrise d’art plastique à Toulouse, je faisais un mémoire sur les arts de la rue et j’avais une pratique plastique obligatoire. Un jour, j’ai appelé Aurélie pour lui dire que c’était le moment d’y aller, qu’il fallait fonder notre structure. On a créer un premier spectacle qui s’appelait : « Portée Dis... »
AG : On l’a joué à Morlaix. C’était un duo sur la femme sans sujet particulier qui abordait la question de l’avortement, du double, du passage de l’enfance au monde adulte. On essayait de faire se rencontrer le théâtre et les arts plastiques.

Comment vous est venue l’idée de ce spectacle ?

AG : C’est parti d’une amie danseuse qui m’a proposée de travailler avec elle sur le thème de la prostitution. On a pas continué ensemble mais j’ai découvert cet univers, j’ai fais des recherches, j’ai lu pleins d’articles concernant la traite des humains au niveau mondiale. C’est quelque chose que je ne soupçonnais pas vraiment, je savais que ça existait sans rien connaître la dessus. J’ai été effrayé de me rendre compte que c’était un trafic au même titre que la drogue et les armes. Ca m’a beaucoup perturbé et j’ai eu envie de faire un spectacle qui dénonce cela.

Vous l’avez joué dans le cadre de la journée des Femmes à Paris en mars 2003 ?

AG : Le spectacle est sorti en 2002. Quand on a été à ces rencontres, la confrontation avec certaines prostituées a été délicate. Il y a vraiment une partie des filles, les prostituées dites traditionnelles qui s’appellent aussi les travailleuses du sexe, pour qui c’est presque un engagement de faire cet activité. C’est comme ça qu’elles le défendent, notamment dans les médias. A mon avis elles sont une minorité. Quand elles ont vu le spectacle elle n’ont absolument pas accepté notre point de vue. Par contre quand j’ai réussi à leur expliquer que je voulais parler de l’esclavage, d’une prostitution forcée, elles ont mieux compris ce que je voulais dire. Je ne me permettrais pas de les juger mais j’ai du mal à croire qu’il y a une prostitution libre, par plaisir, complètement choisie. Il y a un point de bascule pour toutes, sauf peut-être pour quelques rares exceptions. On s’est emporté mais je crois qu’au final on a réussi à se comprendre même si au fond on est pas tout à fait d’accord.

Comment on fait pour construire un spectacle sur un sujet aussi ardu ?

AG : La difficulté c’était d’éviter les clichés de la prostitution. On n’avait pas envie d’en parler et pourtant ils existent. Je ne sais pas comment ça c’est construit, j’écris en direct par des travaux d’improvisations avec les comédiens. On a été obligé de traverser des stéréotypes. Ensuite il a fallu épurer jusqu’a ce qu’il ne reste que l’essentiel sans jamais perdre de vue le fond des choses, c’est à dire la dénonciation d’une violence. C’est pour cela que le spectacle peut heurter certaines personnes. A l’époque où on jouait en Off, on tâtait le terrain et on l’avait déconseillé au jeune public. Aujourd’hui certains programmateurs estiment que ce n’est pas nécessaire, ça dépend de chacun.
NB : Forcément ça parle de sexualité d’une manière assez crue. Il y a des poupées gonflables, des accessoires qui peuvent choquer. Mais il faut qu’il y ait un échange avec l’enfant, une éducation, c’est ça qui est important. D’un autre côté tous les parents ne sont pas prêts.

Pourquoi le choix de ne pas utiliser la parole ?

AG : Ce n’est pas un choix qui est lié à ce spectacle, c’est quelque chose qui c’est imposé. Je ne suis pas du tout à l’aise avec les mots et je trouve que le corps est infiniment parlant. C’est devenu notre démarche.


Il y a beaucoup de programmateurs qui ont refusé d’acheter le spectacle ?

NB : Oui... Je m’occupe de la diffusion dans la compagnie et en moyenne on fait une dizaine de dates par an. Il y a plein de gens qui nous disent aimer notre travail mais en même temps que leur public n’est pas prêt. Je ne suis pas d’accord, je crois que tout le monde peut voir ce que l’on fait. Evidemment, nous programmer ne peut pas se faire au hasard parce que c’est un choix qu’il faut défendre.

Vous avez reçu beaucoup de réaction masculine suite à ce spectacle, cela va t- il donné lieu a une nouvelle création ?

AG : Plusieurs hommes sont venus se confier à moi. Ils m’ont raconté des choses très intimes de leur vie. Pour d’autres je n’avais rien compris à la prostitution. Ils en parlaient en connaissance de cause, de leur point de vue de client. Ce spectacle parle t- il vraiment de la prostitution ou plutôt de l’esclavage moderne ? Il y a une double lecture : d’un coté ceux qui restent bloqués sur le sujet de la prostitution et qui se situe en tant qu’homme et femme. De l’autre des personnes qui nous ont remercié parce qu’elles ne se rendaient pas compte que cela existait, elles étaient touchées. Si le spectacle dérange, c’est aussi parce qu’il va au-delà de la prostitution, il crée un trouble ailleurs que dans le sujet proprement dit, il y a la problématique du désir, de la solitude... Toute cette matière donnera lieu à un nouveau travail, Ecce homo, qui sortira en mars 2005.

- Trace(s) en Poudre au FAR de Morlaix 2004

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