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Luc Perrot, co-directeur artistique du Cercle de la Litote

jeudi 23 octobre 2003, par Heloïse

Interview de Luc Perrot du Cercle de la Litote en résidence au Fourneau en octobre 2003 pour la création de la Délience du bien mal péché.

Quels sont les objectifs de la résidence au Fourneau ?

C’est de finaliser et véritablement de créer le spectacle la Délience du bien mal péché. Le Cercle de la Litote crée des déliences qui sont des actions consistant à ouvrir un nœud, parce qu’on croit à la catharsis du spectacle. En fait, ce spectacle est l’aboutissement de 3 ans de travail , grâce à la DRAC Haute-Normandie et la région Normandie, les départements de l’Eure et de la Seine Maritime, au Fourneau, à l’atelier 231 et au Parc Régional des Boucles de la Seine normande, on a accumulé une matière autour du bien et du mal avec des gens de 7 villages. Ces 7 communes nous ont, pendant 2 années, aider à créer des spectacles joués dans les villages. Toute cette matière accumulée nous permet aujourd’hui de travailler sur cette délience du bien mal péché qui sera elle-même rejouée sur le territoire du Parc Naturel Régional pour fédérer toutes ces énergies et bien rendre compte que les artistes, sans la respiration de la population, sans cette espèce de migration des gens, du peuple vers les artistes et des artistes vers le peuple, n’existent pas vraiment.

Comment envisagez vous le bien par rapport au mal et le mal par rapport au bien dans votre spectacle ?

Je crois que la phrase qui résume le spectacle est "pour connaître le pur, il faut traverser l’impur". Pour nous, il n’y a pas de bien, il n’y a pas de mal, c’est une énergie. Disons que le mal serait un bien en formation ou un bien chaotique et le bien serait effectivement une respiration humaine, une pulsation. On croit fondamentalement que l’homme est bon comme disait Rousseau, on l’espère, on y croit. Le problème est toujours l’histoire du mal et comment il est vu, comment on en fait sa propagande. La religion catholique, au 9ème siècle, a commencé à tout structurer pour bien nous organiser la pensée. C’est à dire qu’on n’avait pas le droit de franchir certaines limites, on n’avait même plus le droit de simplement les regarder, je pense aux péchés, nous pensons, à l’issue de ce travail, qu’il faut au contraire connaître les péchés, aller les visiter, les traverser pour enfin atteindre autre chose, une autre conscience du monde. Sans mal il n’y a pas de bien et sans bien il n’y a pas de mal, c’est une dialectique. Opposer les 2 choses amène là où on en est aujourd’hui et je ne crois pas qu’il faille se structurer comme ça. Avec Jean-Christophe Terol le co-directeur de la compagnie, on est de plus en plus persuadé qu’il faut qu’on construise un autre rapport au monde ou simplement entendre la pulsation de la vie et être respectueux de cette chose là. C’est notre travail.

Dans les créations du Cercle de la Litote, le spectateur est co-acteur. Pourquoi cette volonté de faire participer le public ?

Pour la même raison qu’il n’y a pas de bien et qu’il n’y a pas de mal. Sans les spectateurs nous n’existons pas et sans les artistes je crois que la société serait très souffrante et sans perspective d’avenir. On a cet échange à construire. Les co-acteurs nous ont nourris de toutes leurs aventures, de toute leur vie et on a pris toutes ces choses là. On en a fait ce spectacle. C’est vraiment quelque chose qui nous reste. En tant qu’artiste on n’est pas éclaireur du monde. On n’est pas un démiurge qui aurait compris plus que les autres. Simplement, on a un métier, une façon de créer, une méthode de travail qui fait qu’on est à même de mettre en forme des élans, des pulsations sociales. Sans cette société, sans ce peuple, sans ces gens qui constituent ces énergies individuelles et collectives, on n’existerait pas et je dirais même qu’on n’a pas à exister. Si il n’y a pas ça, il faut qu’on disparaisse. Dans la Délience du bien mal péché, comment le public prend part au spectacle ?

Dans cette Délience là, outre l’enjeu de cette énergie du mal, du bien et de sa transmutation, l’enjeu pour nous était de rendre le public acteur. Comment est ce que à un moment donné plutôt que d’être passif, simple spectateur, regarder même si on participe dans la tête, comment est ce qu’on met son corps en mouvement. On a fabriqué des machines qui sont comme des petits manèges, des costumes amaisonnés où à un moment donné, le pécheur raconte ce qu’il est et propose un défi au public. Si il le désire, le public rentre en compétition pour devenir "champion de". On a joué vraiment sur cette histoire du championnat, et ces champions sont après emmenés devant un jury, le tribunal du Grand Ordre de la Céleste Immobilité, où les juges vont essayer de décider si ces champions sont des pécheurs au non. C’est cette tension qu’on essaye encore une fois de transcrire, de mettre en jeu. Le public, à un moment donné, vient nourrir le spectacle parce que les réflexions qu’il peut y avoir au moment du tribunal sont improvisées. Les trois juges surfent sur cette vague là et on récupère cette énergie pour la renvoyer au public et être dans cet échange. Je pense que plus on avance dans notre histoire de compagnie plus l’art n’est qu’un prétexte, c’est un prétexte à se rencontrer. C’est ça qui est capital aujourd’hui, c’est de se rencontrer, de ne plus avoir peur de l’autre.

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