Dans la rubrique « Du bruit dans la cuisine », on a coutume de commencer les interviews ainsi : quel est ton métier ?
Mon métier ? Je dirais que je suis un bricoleur d’histoires...
Est-ce que tu peux me parler ton parcours ? Comment en es-tu arrivé à « bricoler des histoires » ?
J’avais un grand-père que j’aimais beaucoup et qui a eu beaucoup d’influence sur ce que je suis devenu. Il était prêtre orthodoxe. Chaque dimanche, dans sa cave transformée en chapelle, il disait la messe à la famille tout en s’enfilant de grands coups de rouge dans un calice. Il me piquait mes petits soldats et mes dinosaures en plastique pour réaliser de grands dioramas ; la cave tout entière était remplie d’objets, avec des bénitiers sur les murs. J’appréciais le côté à la fois cérémonial et étrange de ces messes, même si je sentais bien que ce n’était pas un curé très catholique !
A l’âge de dix-douze ans, je me suis mis à la magie et à la voyance. J’avais une boule de cristal électronique qui me permettait de voir le futur. Et puis j’ai arrêté comme quand tu grandis, pensant que la magie était un peu ringarde - ce qui est souvent le cas d’ailleurs. Mais quelques années plus tard, j’ai rencontré des magiciens qui faisaient des choses très chouettes. Je m’ennuyais un peu dans mes études et je me suis dit : magicien, c’est un métier que je peux apprendre tout seul, exercer tout seul. J’ai travaillé avec assiduité et bientôt je connaissais pas mal de tours. Par contre, je m’ ennuyais à ne faire de la magie que pour la magie. J’ai alors cherché à l’intégrer à des spectacles et à m’en servir pour raconter des histoires.
Parallèlement à cela, je gagnais ma vie au cabaret. J’ai appris beaucoup de choses : être sur scène, jouer devant des gens, tester des idées... Plus tard, j’ai rencontré par hasard la compagnie des 26000 couverts. Je ne connaissais pas du tout la rue mais j’ai eu la chance de travailler directement avec eux...
Tu as rencontré les 26000 couverts lors d’un de leurs spectacles ?
Non en fait je les ai rencontrés à l’occasion d’un stage au festival de Pougne-Hérisson. Ce stage, organisé par Yannick Jaulin, s’appelait « Comédien-narrateur ». Je m’étais dit que ce serait intéressant que quelqu’un m’apprenne à raconter des histoires. Yannick Jaulin avait engagé Philippe Nicolle et Pascal Rome, qui à l’époque s’occupaient tous les deux de 26000 couverts (Pascal Rome est aujourd’hui directeur artistique de la compagnie OPUS, ndlr). « 26000 couverts », ce nom ne m’inspirait pas... Le stage commençait par leur spectacle, « La Poddémie ». J’arrivais de Paris et ils jouaient à Brouage : il y avait encore 200 bornes à faire pour aller les voir ! Et là j’ai pris une grosse claque. Une super surprise, c’était vraiment fabuleux... Cela ressemblait à ce que je voulais faire en magie, car il y avait une dimension de vrai, de faux, d’imposture. J’étais ravi de faire le stage avec eux. On s’est bien entendus ; Philippe m’a parlé d’un projet pour lequel il aurait peut-être besoin d’un magicien. Deux ans après, le spectacle s’est fait, même si finalement il n’y avait que très peu de magie (il s’agit des « Tournées Fournel », ndlr). J’ai appris à vivre et à jouer dans une équipe de quatorze personnes, avec les difficultés et les bonheurs du convoi en caravane.
A ce moment-là, avais-tu déjà monté des spectacles avec ta compagnie, la Compagnie des Femmes à barbe ?
J’ai travaillé simultanément sur les deux projets. Quelque temps après le stage, j’ai repris contact avec Pascal Rome en lui proposant une idée pour le festival Mythos (festival rennais qui mélange le conte et la chanson française, ndlr). On a passé quatre jours à écrire ensemble de petits intermèdes destinés à animer les changements entre les conteurs et les groupes de musique. Je me suis jeté à l’eau et ça a cartonné ! Avec Pascou, on a alors décidé d’en faire un spectacle entier qu’on pourrait vendre ailleurs. Ce n’était pas une très bonne idée de mettre bout à bout des intermèdes et le spectacle n’a pas très bien marché. L’année d’après, on est passés au Fourneau pour retravailler le spectacle avec Fred Tousch. « Les Gélules 4 Couleurs de M et Mme Li » a été fini en 2002. Après, j’ai monté « Antiquithon », que l’on tourne toujours en rue (ce spectacle sera programmé au FAR de Morlaix 2006, ndlr). C’est un entresort un peu glauque - glauque comme j’aime bien, proche de ce que je faisais au tout début sur le spiritisme. A côté de cela, l’aventure avec 26000 a commencé pour la création des « Tournées Fournel ».
Aujourd’hui tu es de retour au Fourneau...
Philippe a dû abandonner la direction artistique du nouveau projet des 3 points de suspension qui chevauchait avec sa propre création. La compagnie cherchait donc quelqu’un pour reprendre la direction. J’étais disponible et on s’est dit pourquoi pas... C’est la première fois que je participe à un spectacle qui n’est pas à moi. En plus, j’arrive sur un projet commencé depuis plusieurs mois mais dont l’écriture et la mise en scène sont seulement ébauchées. Comme j’aime bien tester des nouvelles choses, je me suis lancé.
Est-ce que tu penses renouveler cette expérience de direction artistique ?
On va voir ce que cela va donner : je serai peut-être très déçu et eux aussi. J’essaye des choses comme si je travaillais avec de la pâte à modeler, en fonction de la proposition qu’ils m’ont faite au début. Peut-être vais-je arriver à une sculpture qui me plaira mais que personne ne va trouver belle ? Les 3 points sont assez souples pour m’écouter ; ils feront ce qu’ils voudront de mes conseils par la suite. Est-ce que je m’aventurerai de nouveau à travailler pour d’autres compagnies ? Pour l’instant, je ne sais pas mais en tous les cas je m’amuse bien !