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Ecrire pour la rue [D Lemaire, le Geste à la Parole]

Entretien avec Dominique Lemaire, écrivain-comédien, directeur de la compagnie Le Geste à la parole.

lundi 23 mai 2005, par Aurélien Marteaux

En résidence au Fourneau du 18 avril au 1er mai, la compagnie Le Geste à la parole peaufine sa dernière création « Mon€y ! Mon€y ! ». A cette occasion, Dominique Lemaire a accepté d’être le cobaye de ma première interview dans la cuisine du Fourneau. Extraits...

Tout d’abord, j’aimerais que tu nous parles de ton métier. Quel est ton métier Dominique ?

C’est pas une question simple... Je n’ai pas de métier car je ne considère pas ce que je fais comme un métier. J’aime beaucoup la phrase de Serge Rezvani [1] qui dit : « J’ai plusieurs arcs à ma corde » et non pas j’ai plusieurs cordes à mon arc. J’ai un certain nombre de projets, de choses que j’ai envie de raconter, et ça prend des formes extrêmement différentes : nouvelle, roman, atelier ou spectacle...

Officiellement, je suis comédien-écrivain. Mais quand on lui pose la question, mon fils répond juste écrivain parce qu’il trouve que ça fait mieux.

Voilà une transition sur mesure pour parler de ta passion pour l’écrit. En quoi cette passion t’aide dans la création d’un spectacle ?

Ca amène surtout des difficultés. Quand je travaille avec d’autres personnes sur un projet, en général elles veulent m’entendre dire simplement : « Alors voilà : on va faire ça et ça. » Alors que moi, je procède sur un spectacle comme sur un roman. Ce qui m’intéresse c’est pas ce que je vais faire, mais découvrir ce que je suis en train de faire.

Et sur ce spectacle en particulier ?

Sur Mon€y ! Mon€y !, c’est la première fois que j’écris avant de répéter, mais ça a évidemment changé depuis. Je me coupe beaucoup...

Je défends le fait « d’écrire pour la rue ». C’est une autre approche de l’écriture, faite de harangue, de baratin et de tchatche.

Dans une salle, tout le monde se tait pour écouter le texte. Il y a un certain respect qui se pose d’emblée. Dans la rue, il faut accrocher le public parce qu’il y a des éléments perturbateurs tout autour. Cela nécessite une autre oralité et une grande adaptation.

En 1998 au festival Mimos de Périgueux, tu rencontres le magicien et mime Carmelo, comment s’est faite cette rencontre et comment a-t-elle influé sur ton travail ?

Avec Carmelo, on s’est croisés pendant vingt ans dans la rue. Lui tournait avec un spectacle solo de mime, et moi comme vendeur de littérature en pièces détachées. Notre travail était complètement antinomique. Pour écrire une nouvelle à Mimos, je suis parti d’un des personnages de son spectacle, un chien de mime. C’est un chien invisible qui se promène au bout d’une laisse.

Lire la nouvelle par ici...

Nous avons sympathisé avec Carmelo à partir de ce moment là et j’ai été très flatté quand il m’a demandé d’écrire des textes sur ses tours de magie. Moi ce qui m’embêtait chez un magicien c’est quand il fait disparaître quelque chose et puis rien... C’est bien, mais pour raconter quoi ?

Et selon toi, qu’est-ce qu’elle raconte la magie aujourd’hui ?

Qu’on voit mal, qu’on est victime de nos propres sens continuellement. Quand on est gamin, on voit le soleil se lever et se coucher, et quand on va à l’école on apprend qu’il n’a pas bougé. C’est magique !

Après avoir proposé des lunettes pour voir le monde tel qu’il est vraiment dans votre premier spectacle « Le triomphe de la raison »...

...20 000 lunettes distribuées à ce jour !

...que vont tenter de vendre vos personnages d ans « Mon€y ! Mon€y ! » ?

Rien, le public aura juste l’assurance de ressortir riche de savoir pourquoi il restera pauvre. Et ce genre de certitude, ça n’a pas de prix !

La question de départ c’est : où sont les magiciens d’aujourd’hui ? Et puis on entend à la radio qu’il y a des milliards qui arrivent et qui disparaissent, des gens qui s’envolent avec des parachutes en or !

Et puis il y a cette idée de « main invisible du marché » de l’économiste Adam Smith. Une main qui règle tout. C’est la providence, le doigt de dieu ! L’économie est la nouvelle religion d’Etat.

Pour autant, ce n’est pas un spectacle militant et je regretterais qu’il soit compris comme ça. Ce n’est pas non plus un spectacle pour voter non à la constitution européenne... Avec Carmelo, on s’est juste demandé ce que serait le regard naïf d’un clown sur un monde aussi sérieux que celui de la finance. Tout ce dont nous parlons dans le spectacle est tragique, donc il est urgent d’en rire !

Le mélange des genres, des pratiques artistiques et des thématiques semblent être un des principes de travail de la compagnie, en quoi ce mélange est-il important pour vous ?

Après 5 ans de tournée en duo avec Carmelo, le risque était de virer au vieux couple. On a donc accueilli dans la compagnie la danseuse et mime Emilie Bajard. Elle apporte autre chose aux vieux routiers de la rue que nous sommes.

Dans la compagnie, il n’y a pas véritablement de projet de mélange des pratiques ou des genres, c’est naturellement qu’on y arrive. Moi, j’ai toujours été un type confus. Ce qui m’énerve c’est les mecs qui arrivent avec LE mode d’emploi. Le monde est toujours plus compliqué que l’on ne croit. Le mélange rend compte de la grande confusion de ce monde.

Entretien réalisé le 27 avril 2005 dans la cuisine du Fourneau.

Un grand merci à Philippe pour le bruit dans la cuisine.

Lire la nouvelle sur Brest écrite par Dominique Lemaire, par ici...

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