Dans le cadre de la 19e édition du FAR, la compagnie marseillaise Générik Vapeur est en résidence du 29 juillet au 3 août 2005 dans la rue de Brest à Morlaix. Elle y jouera Théâtre d’1 rue, sa dernière création.
Le travail a en réalité commencé le 10 avril lorsque des membres de la compagnie sont venus rencontrer les habitants et les commerçants de la rue. Ils y ont réalisé une "radiographie sonore" : récolte de témoignages et d’anecdotes sur la rue et son histoire.
La suite du travail s’appuie sur une rumeur (un fait divers, une catastrophe naturelle,...) spécifique à la rue. Pour la rue de Brest, la rumeur choisie, l’événement qui revenait le plus souvent dans les discussions avec les habitants, est liée à l’élément liquide : inondations, rivières souterraines, ... L’aboutissement de la démarche artistique prend vie dans une impressionnante déambulation théâtrale ponctuée de textes sur la rue et d’images spectaculaires comme sait si bien le faire Générik Vapeur. Voilà pour le contexte.
Pour interroger Pierre Berthelot et Caty Avram, les deux directeurs artistiques de la compagnie, j’ai décidé de faire une interview croisée, interrogeant chacun individuellement sur les mêmes questions.
Comme tout bon duo, Pierre et Caty se distinguent sur certains points pour mieux se retrouver sur d’autres. Si différence il y a entre ces deux personnalités du théâtre de rue, celle-ci est sensible, perceptible dans leurs attitudes respectives. Tandis que Caty est enjouée, rit, ne tient pas en place sur le fauteuil et alterne rapidement d’un sujet à l’autre, Pierre parle d’une voix posée, assurée, prend le temps de la réflexion et ne laisse transparaître aucun sentiment quant aux questions que je lui pose.
Différence de style et différence de fond ?
Lisez vous-même...
Comment définirais-tu la démarche artistique de Générik Vapeur ?
Caty : Il y a plusieurs ingrédients incontournables dans Générik, il y a le travail dans l’espace public et le sens que l’on donne à ce travail.
Pierre : Générik Vapeur s’appelle aussi "Trafic d’acteurs et d’engins". Ce n’est pas un travail théâtral à proprement dit, c’est un nomadisme du désir. C’est à dire que l’on revisite la ville en se baladant à l’intérieur et en lui racontant des histoires.
Vous assimilez souvent la pratique du théâtre de rue à un combat, qu’est-ce que cela signifie ?
Pierre : Faire du théâtre de rue est un combat parce que le contexte politique nous pousse à ne pas nous endormir. Après il y a les histoires de budget, d’autorisations, être crédible dans ce que l’on veut dire.
A Morlaix, on nous a donné les clefs de la ville, cela veut dire que l’on peut faire beaucoup de choses, comme répéter dans la rue.
J’ai quitté l’intérieur des théâtres pour voir quel "climat" il faisait dehors... aussi bien météorologique, que social. Le théâtre, c’est aussi une manière de s’exprimer avec tout un organigramme de pratiques artistiques : textes, images, sons, musiques, multimédia, mime, humour, tragédie, costumes, ...
De tout temps, le théâtre a su s’approprier toutes les disciplines.
Caty : Le contexte sécuritaire actuel fait que les maires ont plutôt tendance à dire que le lieu du théâtre de rue se situe dans telle rue, telle place. Nous ce qu’on veut c’est choisir le lieu où l’on joue. Pour Théâtre d’1 rue, il faut que la rue soit centrale pour que cela intéresse beaucoup de gens, qu’elle soit assez vivante pour que l’on puisse y inscrire notre écriture théâtrale. Il faut qu’émotionnellement on ressente quelque chose.
Il n’y a pas de combat au sens où l’on n’est pas là pour s’imposer aux gens. On veut écrire quelque chose qui les concerne. Dans Théâtre d’1 rue, la rue est symbolique. C’est une rue précise, ici la rue de Brest à Morlaix, mais c’est aussi l’ensemble des images que l’inconscient collectif attribue à la rue de manière générale, sur le thème : "vivre dans une rue".
- Le procès des habitants à la rue
Quel est le cheminement depuis votre pratique du théâtre de rue à Théâtre d’une rue ?
Caty : En 20 ans, nous avons créé beaucoup de spectacles différents, soit en fixe sur une place, soit de grandes déambulations. Avec Théâtre d’1 rue, on avait envie de prendre la rue dans son entier. Ca nous intéressait d’approcher les gens dans leur rapport à l’habitat. Comment des gens peuvent habiter la même rue pendant des années et avoir si peu de relation entre eux ?
En partant d’une rumeur ou d’un fait divers qui survient à un moment donné dans la rue, on raconte une histoire dans laquelle les gens s’entraident.
A Morlaix, c’est la première fois que l’on fait ce travail d’écriture de quatre jours spécifique à la rue où l’on va jouer. Quand on est venu en avril dernier, j’ai personnellement accompagné plusieurs fois le facteur dans sa tournée. Ce n’est pas une étude ou une thèse sociologique, c’est l’humain qui rencontre l’humain. L’aboutissement de tout ça, c’est le spectacle.
Dans ce spectacle, il y a différents niveaux de jeu : un jeu sensible avec les gens et une grande mise en scène théâtrale. On travaille souvent sur ce double niveau. Dans Taxi par exemple, il y a le rapport de proximité avec les clients assis sur la banquette arrière et de grandes images collectives visibles par tous. On passe de l’intime à quelque chose qu’on espère universel.
Pierre : On voulait s’arrêter, se poser dans une rue, prendre le temps de la revisiter d’une manière sensible, de ne plus se servir de la rue uniquement comme d’un décor mais de la "radiographier" en même temps que d’y réaliser nos frasques artistiques. On habite littéralement la rue, et on la "déshabite".
Mais je ne veux pas qu’il y ait de confusion. Notre objectif n’est pas de décortiquer la rue de Brest pour en faire un cas d’étude. Ce qui nous intéresse avant tout c’est de se servir de cette rue comme d’un théâtre, mais pas de faire radiographie sociale.
Ce que nous retirons de ce travail au contact des habitants participe au spectacle, mais ce n’est le thème central. Il y a aussi des thèmes que nous avons envie de traiter en même temps, comme la "judiciarisation" de notre société et les procès à outrance, la circulation d’une rumeur, les peurs collectives... tout ce qu’on trouve dans la société et que l’on retrouve à une autre échelle dans la rue.
Nous avons pris comme point de départ une rumeur pour mettre en scène un changement de comportement, pour que nos personnages sortent de chez eux et vivent quelque chose ensemble.
- Scène finale de Théâtre d’1 rue
Que serait Générik Vapeur sans Pierre ?
Caty : C’est facile pour moi de répondre à cette question car je ne pourrai pas faire Générik Vapeur sans Pierre.
Nous sommes complémentaires. Les ingrédients qui lui paraissent essentiels dans le théâtre de rue cohabitent avec les miens. Lui est toujours dans l’excès, dans la surenchère perpétuelle. Il a des exigences qui vont toujours plus loin. Moi je vais travailler plutôt sur les détails, les personnages, le sens, l’écriture...
Lui, il aborde le sens par l’image.
Dans Générik, il y a une synergie entre les individus, comme un bouillonnement dans lequel chacun amène son petit truc, sa compétence, sa sensibilité.
Que serait Générik Vapeur sans Caty ?
Pierre : Générik Vapeur sans Caty, ce serait une énergie en moins. Dans "Générik Vapeur", il y a la vapeur qui est une énergie et il y a le générik, c’est à dire toute la liste des gens qui fabriquent la compagnie, qui font que Générik Vapeur est ce qu’il est.
En 20 ans, Générik Vapeur n’a jamais eu le même générik. Notre tandem à Caty et moi garantit un certain état d’esprit, c’est un "label", une manière d’être. C’est un tandem de chamaillerie et de tendresse.
Nous sommes complémentaires : Caty chante, moi pas. Caty fabrique des costumes, moi pas. Et nous avons chacun notre propre manière d’écrire.
Qui serait Caty sans Générik Vapeur ?
Caty : C’est horrible parce que je n’arrive pas à me l’imaginer. Je ne pense jamais sans Générik. On me le reproche d’ailleurs souvent.
Au départ, je voulais faire de la sociologie. Pas au CNRS dans un labo mais plutôt sur le terrain à observer comment les hommes vivent ensemble, partagent des choses, se rassemblent. Je détestais le monde du spectacle, je n’allais pas au théâtre. Maintenant j’y suis venue et je m’intéresse à toutes sortes de théâtre. C’est en rencontrant des personnes qui écrivaient leur propres histoires, leurs propres concepts que je me suis intéressée au théâtre.
Si je n’avais pas fait cette rencontre, à l’heure actuelle je serais peut-être anthropologue... ou chanteuse... Quand j’étais môme, le grand drame pour mes parents c’est que je n’aimais que Gainsbourg, les Who’s et les Stones.
Je me dis aussi que j’aurais pu faire totalement autre chose, apicultrice par exemple... Quelque chose qui a du piquant.
Qui serait Pierre sans Générik Vapeur ?
Pierre : Avant Générik, je faisais déjà partie d’autres compagnonnages artistiques. Donc j’aurais certainement inventer une autre "famille".
J’ai décidé à un moment donné de créer cette compagnie parce qu’au sein des autres groupes il y avait des choses dans lesquelles je ne me retrouvais pas.
Je fais partie de ces gens qui militent pour le théâtre de rue, pour une forme d’écriture particulière, pour une certaine synergie entre les gens. Cet engagement, je l’aurais peut-être mis à une autre sauce, avec d’autres gens, mais en gardant ce côté rock ’n roll, bordélique, insensé et plein de sens.
Propos recueillis par Aurélien Marteaux, le 2 août 2005 au FAR de Morlaix.