Samedi 26 mars, il est 8 heures, le soleil commence à monter dans le ciel de Bobo Dioulasso.
Ce matin, notre maître-cracheur de feu, Michel Crespin, a fait griller le pain que notre président Maestro est allé chercher à l’aube en chevauchant crânement la mobylette de fonction. Ca sent bon autour de la grande table et le petit déjeuner s’étire...
Aujourd’hui est un autre jour. Le décor est rangé dans les deux J9 de la ville de Dijon que nous allons laisser ici... Dans une heure nous allons retrouver les comédiens sous le manguier pour une ultime palabre. Puis ils s’en retourneront à Ouaga avec les clefs de leur baraque foraine : « LE MUSEE DE LA POULE POILUE ».
La création a eu lieu hier, au milieu du 6 mètres qui borde le centre Djelya, entre la petite buvette bleue et « expérience coiffure », pour ceux qui connaissent...
« c’est quoi çà ? c’est Jumbo ? c’est la publicité ? »
« non, çà c’est Maggi, regarde la poule, là... »
« ah non, çà c’est Jumbo, bilaï, je te l’assure... »
« LE MUSEE DE LA POULE POILUE » a ouvert ses portes deux fois dans la journée sous un soleil de plomb. Beaucoup de gamins étaient là, mais aussi pas mal de curieux attirés par le gros entresort aux couleurs rouge et jaune des célèbres bouillons de poule, et grâce à la parade des poulettes de la maison Cagibi.
« LE MUSEE DE LA POULE POILUE » , pour son galop d’essai, a généré une recette de 13425 francs... Il faut dire que Diaradougou est un quartier pauvre et que la famille Cagibi avait fixé un prix d’entrée symbolique à 25 francs pour les enfants et à 100 francs pour les adultes. Il faut dire aussi que 100 francs CFA c’est comme 1 ancien nouveau franc de chez nous, ce qui fait qu’en convertissant cette recette en euros, on avoisine les 20 (d’euros, pas d’anciens nouveaux francs).
En vérité vraie, « LE MUSEE DE LA POULE POILUE », c’est une histoire d’arnaque foraine où viennent se mêler des acteurs et des objets en mouvement. Les phabricants d’O.P.U.S viennent de passer 2 mois à l’inventer avec l’aide de gens d’ici, forgerons, sculpteurs, peintres en lettres, patineurs (sur masques, pas sur glace), soudeurs, couturiers, musiciens, comédiens, griots...
Et il faut le dire aussi, « LE MUSEE DE LA POULE POILUE » a pu exister grâce à l’appui de partenaires qui ont fait confiance à O.P.U.S sur ce projet depuis la France, comme la région Bourgogne, la ville de Dijon et l’AFAA, mais aussi de ceux qui nous ont aidé sur la route, comme les instituts français de Tanger et de Meknès, l’alliance Franco-Mauritannienne de Nouadhibou, le CCF de Bamako, les alliances françaises de Kumasi et d’Accra, et ceux qui sur place au Burkina Faso, nous ont accompagnés à faire que cette aventure existe : Yves Ollivier et Laurent Bardou, les directeurs des CCF de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso, et Jacques de Monès, le conseiller culturel de l’ambassade de France.
Tout à l’heure, nous donnerons les clefs des camions à François Bamba, nommé par ses pairs directeur de « la famille cagibi », première compagnie de théâtre de rue du Burkina Faso. Nous rangerons nos outils dans une grosse malle en fer qui restera ici avec écrit dessus C.A.ph.A.R.N.A.U.M. Elle permettra aux prochains qui viendront, comme les amis de « Trans’express » ou des « ateliers du spectacle », de pouvoir compter sur une petite base de matos et d’outillage en bon état.
Le carnet de résidence aura été moins épique que le carnet de route, j’en suis désolé, mais les choses vécues ici ont du mal à tenir sur des lignes. Alors, pour refermer ce premier tome du C.A.ph.A.R.N.A.U.M., je vous livre cette pensée de Maudibo, un des comédiens de la « famille Cagibi », et je vous propose de découvrir le « MUSEE DE LA POULE POILUE » à travers deux histoires de Mr Cagibi, patron de baraque foraine et les photos de Christophe Reynaud Delage.
« Le plus long voyage commence toujours par le premier pas »
« Mesdames et messieurs, approchez approchez... L’histoire que je vais vous raconter est une vérité VRAIE !
Je suis né dans la savane africaine. J’ai rencontré toutes sortes d’animaux : l’hippopotame, la panthère, la hyène et le phacochère. J’ai mangé avec le lion les restes d’une antilope. J’ai partagé la vie des éléphants. J’ai dansé la nuit avec les serpents sous la lune et les étoiles. Tous ces animaux je les connais. Je connais leur vie.
Mais un jour, comme je parcourais l’immensité de la savane, j’ai vu quelque chose qui bougeait dans un buisson. Je m’approche, la chose s’éloigne, je cours, la chose court... Au détour d’un sentier, elle a glissé : moi aussi j’ai glissé mais grâce à une contorsion rénale, j’ai pu maintenir mon équilibre ! Elle saute dans un arbre, je saute moi aussi ! elle s’envole, moi aussi ! elle tombe à terre, moi aussi... mon bras se casse en 1000 morceaux comme le verre.
L’animal étrange s’arrête, se retourne, me regarde. Je le regarde. Il court. J’en oublie que mon bras me fait mal, je cours, je cours, je cours. Après deux jours et deux nuits de course sans relâche, nous arrivons au pied d’une montagne volcanique : la bête étrange est bloquée. Elle ne peut aller ni à gauche ni à droite. Je la regarde, elle me regarde puis elle s’approche.
Je retiens mon souffle. Elle s’approche encore et là... je découvre que j’ai devant moi une poule poilue à 2 têtes ! Une bonne tête, et une mauvaise tête ! Vérité vraie mesdames et messieurs ! vérité vraie !
Pour me défendre, je décide de fixer l’animal dans les yeux. Ce n’est pas chose facile quand un animal a 2 têtes ! J’utilise alors la technique de l’essuie-glace. L’animal est comme paralysé ! Soudain, je sors ma machette et j’utilise la technique des samouraïs japonais pour combattre les dragons : je fais tournoyer la lame au soleil pour l’aveugler et d’un coup sec, je découpe la tête monstrueuse et la fait voler en l’air !
Débarrassée de ce mal qui l’empoisonnait, la bonne tête se met à me parler et me dit la chose suivante : « pour te remercier, Cagibi, je vais t’apporter la gloire et la fortune ! »
Elle m’a guéri de toutes les maladies. Quand elle a voulu me soigner le bras, je lui ai dit « arrête, poule, je veux rendre témoignage. » Elle m’a offert une de ses pattes qui m’a donné le pouvoir de voyager là où je veux. Je suis parti aux îles Galapagos, en Chine, en Inde, aux îles Canaries, au Brésil et même au Canada. J’ai pu participer aux cérémonies les plus secrètes des plus grandes poules du monde. Et surtout, j’ai réussi à vaincre mes peurs et à capturer l’animal phénoménal !!!
Mesdames et messieurs ! tout ceci est de la vérité VRAIE ! Tout ceci, vous pourrez le vérifier vous même si vous avez la chance d’être parmi les premiers à visiter mon musée de la poule poilue ! J’en vois déjà qui préparent leur argent mais attendez, mesdames et messieurs, avant d’ouvrir les portes de mon musée, j’aimerais vous présenter celle par qui tout est arrivé : sous vos applaudissements, je vous présente la poule ...poilue !
(la marionnette de la poule poilue entre et danse sur le castellet)
Mesdames et messieurs, la poule poilue vient de me dire que le spectacle pouvait commencer !
« Ecoutez ce que je vais vous raconter, car tout ce que je vais vous raconter ici est de la vérité vraie.
Lorsque j’ai décapité la mauvaise tête qui empoisonnait la poule poilue, la bonne tête m’a ordonné d’aller la jeter dans la bouche du volcan. J’ai marché pendant 7 semaines, nuit et jour, et lorsque je suis arrivé au sommet du volcan, celui ci s’était rebouché...
J’ai décidé de m’en débarrasser en la fourrant dans un petit trou de rien du tout... Ce que je ne savais pas, c’est qu’après mon départ, la tête monstrueuse allait reprendre vie dans le petit trou de rien du tout, grossir, grandir, et se transformer en un animal féroce, un animal phénoménal capable de tuer les hommes sans pitié.
Quelques années plus tard, la poule poilue vient me réveiller dans mon sommeil et me dit : « écoute cagibi, tu as refusé de faire ce que je t’ai dit, et maintenant, la tête que tu n’as pas jetée dans le volcan a repris ses veines et s’est transformée en animal phénoménal !
Tu as mis toute l’Afrique en danger ! Alors maintenant, va, mais sache qu’il te sera très difficile de combattre cet animal ! »
Sur ce, la poule poilue me donne 3 de ses poils. Le premier poil a le pouvoir de transformer le feu qui sort de la bouche de l’animal phénoménal en casque invincible. Le second poil a le pouvoir de transformer une de ses plumes en bouclier d’argent. Le troisième poil a le pouvoir de transformer une des griffes en grosse chaîne d’acier.
Je me mets en route. Après 7 semaines de marche sans relâche, j’arrive au pied de la montagne volcanique. Je retrouve le petit trou de rien du tout. Je creuse. Rien.
Soudain, derrière moi, un hurlement fou ! Je me retourne et je me retrouve nez à nez avec l’animal phénoménal. Il est aussi gros qu’un baobab et il sent mauvais, très mauvais. De sa bouche sort de la diarrhée chronique, de l’épilepsie et aussi des boules de feu. Ses narines crachent la maladie du sommeil et de son anus sortent la moutarde et le rhume. Ses griffes sont pointues comme des lances et ses plumes comme des rasoirs.
Le combat s’engage devant tous les animaux de la savane, de l’éléphant au lion et du lion au petit rat. Même les mouches étaient là.
Il me crache du feu : le premier poil le transforme en casque invincible qui va me protéger la tête. J’empoigne le monstre, il me repousse, je roule 70 fois en arrière, je me relève et je reviens et je réinstalle le combat. Il me donne un coup de griffe. J’arrache la griffe. Et grâce au second poil je la transforme en lourde chaîne.
Il est énervé davantage. Il saute sur moi, se retourne et chie sur moi de la moutarde de Dijon. Ca pique, je m’affaiblis. Pour me protéger, j’appelle le 3eme poil pour transformer une de ses plumes en bouclier d’argent. Malheur à moi ! le troisième poil s’est perdu dans la lutte et l’animal phénoménal en profite : d’un coup de bec, il m’arrache le bras !
La situation devient difficile, je suis couché à terre, il me piétine, il me piétine encore. Tous les animaux pleurent mon malheur. Un petit caméléon s’approche de moi pour m’apporter de l’aide. Je le saisis délicatement et pratique la technique du setereg-kam-welbe naréosse yindgoinga, une technique mentale qui consiste à échanger le sang de l’adversaire.
La transfusion sanguine est instantanée. L’animal phénoménal est comme paralysé. Alors je commence à le dompter, puis avec ma chaîne, je le ramène tranquillement à la maison.
Le combat, mesdames et messieurs a duré pendant 725 jours. J’y ai laissé un bras mais j’ai réparé ma faute et l’animal phénoménal ne menacera plus l’Afrique. Il est là, dans mon musée, mesdames et messieurs, et vous pourrez bientôt le vérifier.