Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai vu la lumière qui éblouissait tout le port. Je ne les avais fermé qu’une seconde, pour revoir l’image des gens aimés, juste un instant, se concentrer sur cette image, qui a du mal à venir parfois, quand on est loin, loin des siens. Cette image floue au départ, qui se précise petit à petit, parce que l’on se concentre sur un détail, la bouche, les yeux, un grain de beauté sur une joue, la commissure des lèvres. Mais la lumière en s’ouvrant sur mes yeux, est venue tout effacer. La marée montante emportait ton visage et je ne savais plus dans quelle ville j’étais. Le nord venait se cogner contre le sud, des centaines de visages remplaçaient tes yeux si clairs. J’ai senti la chaleur sur ma peau, j’ai regardé mes mains calleuses, usées par le travail, mes ongles noirs, salis par la graisse. J’ai senti cette main serrer la mienne. Les langues qui se répandaient dans mes oreilles. J’ai dit Shanghai, j’ai dit Marseille, j’ai dit l’Islande, j’ai dit Hambourg, j’ai dit Stockholm. Mais on m’a répondu Brest. Mais on m’a répondu, la mer t’a recraché comme Jonas du ventre de la baleine, elle t’a dit, la mer, rentre, rentre chez toi, retourne d’où tu viens. Il n’y a de place pour toi qu’ici. Je n’avais pourtant fermé mes yeux qu’une seule seconde, et je n’ai rien vu venir, sinon la lumière, sinon la lumière... Quand j’ai ouvert les yeux.
Estelle
Je griffonne des lignes sans fin sur mon cahier bleu, je pose des points d’interrogation pour finir le déroulement interminable des mots sous mes doigts. Les questions s’étalent sous ma peau, trouvent refuge derrière un verre de vin. Je marche dans l’appartement, je tourne en rond.
Mélina accompagne le bout du chemin de Ourania Bitska.
Anthony a quitté la ville.
Pablo piste la révolution et la lumière des néons qui s’écrasent sur le bitume du port.
Raphaël s’éffrondre devant le monument américain. Il a découvert un dernier jardin. Peut être ne bougera t il plus d’ici ?
Nous sommes le 8 avril 2006.
La nuit s’avance et c’est ouvrant ma fenêtre sur le port que la sirène d’un bateau vient me frapper en plein visage pour me rappeller que je suis vivante.
Estelle
J’suis pas à ma place
J’me sens bien
Ils sont beaux les deux, là-bas, elle, penchée, qui lui parle à l’oreille
Guitare électrique
Chanter la javanaise
Boire encore
Pourvu qu’il me prenne dans ses bras
Il est beau, en fait
J’lui demanderais bien son appareil pour faire un portrait de lui
Georgia...
La Roumanie roule ses r au comptoir
Vous me ferez une facture ?
Raphaël
Seulement songeur
Pascal Rault, nous a enchanté cette nuit avec ses chansons, entre amour et révolte, entre une bière et l’autre, avec les gens de la ville du haut, déscendu boire un coup, et les ouvrières et dockers de la ville en bas, sortis du boulot.
Cet extrait avec l’aimable authorisation de Pascal Rault, ce soir au café de la plage.
Pablo
On peut aller encore plus loin !
Notre passeur a trouvé un passeur pour chercher encore plus loin dans le ventre du port.
On peut descendre sous le quai, entre les pilotis, mais ils faut attendre la marée basse... Oui, le niveau zero entre le port et la mer est donc absolument relatif. On a pu voir dans le ventre : on voit la lumière verte, on comprend le vide sur le quel on marche...
Où vont tous ces rails sur le quai ?
On dirait qu’ils tournent en rond, qu’ils attendent quelque chose.
Pablo
Jamais comme aujourd’hui la radio n’a parlé de mon pays. Le dimanche des élections, l’Italie decide si elle veut grandir ou pas.
La promenade du dimanche en tous cas existe partout :
les enfants viennent jouer autour des giraffes sur le quai, les parents restent dans la bagnole à écouter la radio.
un pêcheur à attrapé un calamar, je lui demande si c’est une seiche ou un calamar, il me regarde bizarrement et me dit juste : "non, je suis polonais"
Je ne peux pas attendre de regarder sous le quai, je vais quand même, je veux absolument voir le dessous.
Pablo
ça y est ! On sombre...