Les hôtels internationaux s’agglutinent sur le front de mer, comme dirait notre ami lapin, et le boulevard maritime s’écoule très large et rectiligne, bordé de ses inévitables palmiers et de sa promenade longeant la plage. Image de carte postale : le tourisme triomphant s’affiche dans toutes les langues et des calèches fleuries de bouquets en plastique se glissent dans le trafic, tirées par de vieux chevaux las. Un paysage déjà connu, tant de fois rencontré, tant de fois évité, avec son modèle exportable, ses vitrines de faux luxe, son pittoresque fabriqué. Une jolie médina, c’est vrai ! Avec ses étalages débordant de souvenirs et d’objets orientaux comme une immense supermarché de l’imagination au coeur historique de la ville, alibi tunisien d’une station de nulle part. Ici, on est à Sousse, c’est à dire en Pologne.
Incorrigibles rêveurs aux images confortées par une agréable semaine de températures estivales, on imaginerait qu’à Sousse il ne pleut pas souvent, que les orages durent peu, qu’ils ne font que passer en un déluge spectaculaire rapidement oublié. Mais voilà qu’à l’encontre de toutes les idées reçues, la pluie vient perturber notre unique journée de congés sans déplacement, ni changement d’hôtel. Et surtout, voilà qu’elle s’attarde, qu’elle insiste, qu’elle s’accroche au ciel gris avec la persistance d’une grasse ondée de Normandie. C’est son jour de congés : elle s’en donne à coeur joie. Elle ruisselle dans les venelles du souk, déborde des égouts, inonde chaussée et caniveaux. A son imitation, le vent se mêle à la fiesta. Il décoiffe les palmiers, chahute les grues de chantiers et réveille les vagues qui se fracassent sur la plage déserte. Impossible d’envisager la moindre promenade. Impossible même d’envisager la moindre activité d’extérieur. Condamnés à rester dans le complexe d’un hôtel gigantesque dont on n’épuise pas l’ennui, l’insidieux dégoût des vacances mais qui offre malgré tout toutes les commodités pour supporter les affres de ce repos forcé. Mais parce qu’on est et qu’on demeure d’incorrigibles rêveurs, on se plaît à imaginer qu’une seule nuit suffira à chasser le mauvais temps.
Pourtant, une nuit ne suffit pas. Le lendemain matin, le ciel est toujours aussi sombre et les palmiers aussi secoués. La pluie n’en finit pas de s’amuser de notre réclusion, de nos attentes inutiles et de nos inquiétudes sans réponse. Pourrons nous jouer comme prévu ? Sera-t-il possible d’envisager une solution de repli, même très modeste et très partielle, privilégiant l’art d’une rencontre à la rencontre de l’art ? Attendre... Rôder dans les couloirs, s’installer dans le hall, attendre. Pour apprendre qu’en fin de compte, rien ne paraît possible. Pour la troisième fois depuis la création de la famille Magnifique, après douze ans de tournée, nous sommes obligés d’annuler une représentation. Pour cause de mauvais temps. En Tunisie : ça ne s’invente pas.
HAMMAM SOUSSE samedi 10 mars 2007
Ce matin, la pluie a enfin cessé, le vent s’est calmé mais le ciel demeure assez gris et la mer agitée. La tempête s’éloigne. Au pied de l’hôtel asqtucieusement nommé Dreams Beach, la vision n’est pas très glorieuse. Les vagues roulent sur la plage encombrée de débris, un conteneur à ordures est couché sur le flanc et des flaques d’eau envahissent le parking. Dans la salle de restauration déserte, à l’éclairage plutôt blafard, une femme de ménage passe la serpillière pendant le petit déjeuner. Cérémonie lente et paresseuse. On avale un café au goût épicé et on se réfugie dans le hall. Silencieux lui aussi. Les cendriers débordent, l’odeur de tabac froid en est presque écoeurante mais le barman s’active pour nettoyer les tables. Il fait frais, on se sent fatigué. On espère que l’amélioration va se confirmer dans les prochaines heures. Ca fera du bien de jouer. Puisqu’on est là pour ça.