La médina de Kairouan se transforme sans cesse. En plein après midi, inondée de soleil, elle est blanche et active, agitée de senteurs et d’échanges à haute voix. Toutes les boutiques du souk étalent leurs parterres dans une profusion d’objets très colorés, de bijoux d’argent gris, de dromadaires en peluche et de pyramides de confiseries. L’ombre y découpe de larges tranches sur les façades de crépi blanc et les ruelles couvertes s’enfoncent dans un dédale obscure. La nuit, la médina est calme, les rideaux de fer sont tirés sur le commerce de la journée et seuls quelques hommes s’attardent autour d’un dernier thé. Mais c’est au coucher du soleil que la médina est la plus belle et offre une diversité de teintes tirant du blanc au beige, du bleu le plus fragile au bleu le plus intense. Les ruelles silencieuses épargnent les derniers instants précieux de la journée, les femmes drapées de discrétion rentrent sans hâte à la maison, les passants s’éloignent comme des fantômes et on s’étonne de découvrir au détour d’une placette un étal de légumes, un tisserand ou un luthier dont la porte est encore ouverte. L’appel à la prière résonne alors avec violence dans une cacophonie de rugissements et de feulements que le grésillement des haut-parleurs rend plus étrange encore.
A la suite du conseiller culturel qui nous a proposé de nous promener ce soir-là, nous nous dirigeons vers la Grande Mosquée de Kairouan pour l’admirer dans son éclairage de nuit. Une porte latérale est ouverte et tout naturellement, l’homme s’y engage, s’avance dans la cour normalement fermée au public. Sans autre cérémonie, il nous invite à le suivre et nous lui emboîtons le pas. C’est l’heure de la prière, les hommes la récitent en une lente mélopée, profonde et grave, répétitive et dans ce cadre superbe, avec ces lumières étudiées soulignant les alignements des colonnes du narthex, l’émotion est intense et rare. Mais déjà trois barbus se précipitent, menaçant, pour protester contre notre intrusion et nous sentons la menace. Inutile d’insister et inutile de discuter. Il vaut mieux s’éloigner. Sur le chemin du retour, notre guide contrarié nous explique que dans le Coran, rien n’interdit à des infidèles l’accès aux lieux sacrés. Nous étions dans la cour où tous les jours débarquent des centaines de touristes monnayant leur entrée.