Le Fourneau, Carnets de Voyage
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Cronica Andina (2)

jeudi 17 décembre 2009, par Jackà Maré Spino

Medellín : 1550 mètres de paranoïa au dessus de la mer.

Cette ville de plus de 2 millions d’habitants est située sur une petite vallée, du nom d’Aburrá, particularité qui la classe, coté densité de population, dans la catégorie boite à sardines. Elle est entourée d’innombrables collines où se situent les "comunas" (favelas locales) qui ont contribué fortement à bâtir la réputation de cette ville. C’est de là que descendaient, sur leurs motos à grosse cylindrée, les très jeunes "sicarios" (14-15 ans max) pour régler les comptes de Don Pablo, Le Patron. C’est dans ces collines que se sont livrées de nombreuses batailles, à coup de tronçonneuse et autres bombonnes de gaz, entre les guérilleros d’extrême gauche et les milices d’extrême droite. Par ailleurs, le match a finalement été emporté par ces dernières et leur premier mécène est aujourd’hui Président de la République. Depuis, ces collines ont été reliées au centre ville par des téléphériques high-tech, style Chamonix. C’est marrant de voir des milliers de personnes rentrer chez eux comme s’ils allaient faire du ski. Je me demande si ce projet n’a pas été réalisé par un groupe français, comme ce fut le cas du métro de Medellin.

La population de cette ville est composée, en grande partie, par les descendants d’une poignée de familles basques espagnoles qui émigrèrent il y a quelques 400 ans et qui refusèrent le métissage, préférant engendrer de nombreux enfants (par fois jusqu’à 24) pour assurer leur œuvre colonisatrice. Les gens de cette région sont appelés les "Paisas" (mot qui vient de pays) Ce sont de beaux parleurs, amoureux de leur terre et dont la réputation de commerçants impitoyables n’est plus à faire. Voila pour le résumé historique.

Et les rues de la ville ?

Voici ma première promenade. C’est le samedi soir, un samedi comme un autre. Je m’apprête à faire une petite balade tranquille. Je franchis la porte de l’hôtel mais une fois dehors c’est le choc. Un brouhaha assourdissant me cloue au sol : ça grouille, ça fusse, ça hurle, ça klaxonne de partout. Les trottoirs sont pleins de monde et un tsunami humain veut m’emporter.

- Merde, j’avais oublié. Décidément la France est trop tranquille.

Mais en quelques instants, de vieilles antennes repoussent sur mon crane et un troisième œil apparait sur ma nuque. Alors, je me laisse emporter par cette marée humaine.

Medellín est un fabuleux spectacle de rue au format méga. C’est une superposition d’images d’Épinal au caractère surréaliste. A chaque coin de rue on voit s’affairer des loueurs de portables à la minute, des vendeurs de journaux, des distributeurs de bonbons à la criée. Quelqu’un tente de me vendre des cigarettes á l’unité. Soudain, je vois apparaitre deux charrettes pleines de fruits, poussées par deux adolescents. A coté de chaque charrette un autre jeune accompagne le porteur affrontant celui d’en face à coup de mégaphone. Et c’est la surenchère. Je crois rêver ! C’est à celui qui hurle le plus fort le prix de ses fruits. Au carrefour suivant, un bar minable est bourré par les 20 membres d’une fanfare paysanne qui débite un son d’enfer. Ce sont les rythmes populaires de ma jeunesse. C’est à rendre presque ridicule la Belle Image. Tiens ! J’espère qu’ils n’ont pas oublié de payer les droits d’auteur aux paysans colombiens.

En traversant une grande avenue je m’aperçois que le feu rouge est du dernier cri. Le petit bonhomme vert m’indique quand est ce que je dois marcher et quand est ce que je dois me mettre à courir comme un taré pour ne pas me faire écraser. Je n’ai qu’à l’imiter. Bonne idée, car sur ce bitume la priorité est aux chauffeurs de bus.

Chaque 200 mètres je trouve un parc et dans chaque parc un marché. Tout le monde vend quelque chose ou mendie avec des arguments béton. Et chaque vendeur possède sa propre sono et son régisseur attitré. Vu d’ici le festival d’Aurillac à l’allure d’un club de détente. Tous ces vendeurs sont des sacrés comédiens. Et ils ont intérêt à réussir leur comédie, sinon, pas de quoi manger le lendemain. Puis, n’en déplaise à certaines bonnes consciences, je me dis que tout cela, finalement, n’est pas si horrible que ça, car les gens d’ici dégagent une pulsion de vie à faire pâlir les sociétés les mieux nourries. On sent une énergie fabuleuse, une vitalité extraordinaire, une véritable soif de vivre. Et personne ne se plaint. La peur de la faim et l’instinct de survie restent des sacrés conseillers vie.

Je continue ma route. Les gens se regroupent pour boire à même le sol et par centre d’intérêt. Ici les amateurs salsa, là-bas ceux de tango. Dans une petite place, un groupe de punks taquineurs me barre la route. Quelques mètres plus loin c’est un groupe de babas-cools que je croise. Ils roulent d’énormes joints d’herbe pure au nez et à la vue des flics (ici la dose personnelle est légale) Soudain, je tombe sur un groupe de sourds-muets qui hurlent avec leurs bras et leurs visages. Je m’arrête. J’ai toujours aimé discuter avec les sourds-muets et ils me le rendent toujours bien. C’est peut être mon coté mime. Puis, au milieu de la discussion, et sans crier gare, ma conscience professionnelle me saute à la figure.

- Dis donc Jacká, c’est ici, dans cette ville, que tu vas jouer dans quelques jours. Mon pote, t’as intérêt à retrouver ton énergie des 20 ans, sinon, tu vas te faire bouffer tout cru.

Du coup, j’ai envie de retourner à l’hôtel. Alors, je rentre lentement en me posant de tas de questions artistiques...

Le 11 novembre 2009

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