Si ça s'appelle Les Voisins c'est qu'on les a déjà vus pas très loin de chez nous. Et comme en plus on est tous les voisins de quelqu'un d'autre... Allez, on va pas faire de jaloux : on dira que ces Voisins-là on les a déjà rencontrés au nord, au sud, à l'est et à l'ouest. La littérature -cinéma, télé, livres, bandes dessinées...- est pleine de ces tronches, elle en a fait ces choux bien gras, des tronches qu'on dira bien franchouillées, certes, mais si on regarde au-delà des frontières on en trouvera aussi. Ça console de dire ça. Dans la galerie de portraits concoctée par Claude Merle, portraits de village, gros bourg, quartier, la série est assez complète. Il y manque tout de même quelques têtes, celle du clergé par exemple, ou de la « haute », notaire s'il faut en nommer un au hasard, et aussi de la moins haute, instit, percepteur, postier... et il y manque les odeurs mais on n'a pas de mal à les imaginer et le keskipudonktan de la Zazie de Raymond Queneau nous revient tout de suite aux narines.
Sans faire pédant-quelque-part on dira que les Voisins c'est une exposition ethno-sociologique du meilleur cru de 10°5 ou, en d'autres termes, c'est de la momie d'ici et d'ailleurs, tout en pensant sans trop oser le dire qu'une telle assemblée, si elle s'animait là maintenant, elle aurait le droit de vote, choisirait des maires, des députés et des Présidents de République... Bon sang ne pensons pas au pire, c'est pas le jour. Ce n'est pas tendre tout cela, on vous l'accorde, ça sent le rouge-lim sans la lim, ça sent le radio-bière-foot, la soupe, les charentaises ou le café-pain-beurre... mais invitez-vous, allez écouter l'Orphéon et sa musique flonflonnante, ça vous changera les oreilles, allez rendre visite aux Voisins et faites-leur un brin de causette, il y a des taiseux parmi mais dites-vous que tous ces bons bougres parlent notre langue d'où qu'elle vienne. Vous verrez qu'à force de les regarder, à force de les écouter vous sentirez vous monter de la tendresse à leur égard, si, si, de la Tendresse avec un grand T on vous dit et vous signerez les yeux fermés leur pétition contre le roquènrolle, c'est sûr comme nous vous signerez contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre. Et vice-versa !
Texte : Pierre Abgrall