Trois rois mages musiciens, trois charmeurs de tambours et de carcabous métalliques, trois gnawas traversent le public. Leur musique sent le soleil de plomb et la poussière d'un sable venu du désert. Ils jouent, jouent, jouent, appellent les regards vers ce qui s'éveille là doucement sous le trapèze immobile. Une lionne endormie ? Un nid de serpents ? Un grand oiseau aux ailes repliées ?... Non. C'est humain. Une femme. Une femme drapée de beige, le visage encore caché par une chevelure lisse et longue. Les percussions, les tambours et les voix des trois musiciens lui délient lentement les jambes, les bras, les mains qui se tendent et trouvent le trapèze au-dessus d'elle comme une branche tendue entre deux lianes. La musique lui dessine son chemin dans l'air.
Le gumbri -instrument à cordes en boyaux de chèvre et peau de cou de chameau tendue sur une caisse de noyer- les notes à la fois basses, rondes et chaudes du gumbri tressent, tissent des mélodies pendant que la femme-serpent noue et dénoue son corps dans les cordes du trapèze, pendant que la femme-lionne prend des poses félines, pendant que Jane Allan -elle a le nom d'un oiseau prêt à s'envoler- monte, descend entre le ciel et le sable de la piste, jette de-ci de-là sa longue crinière brune et envoûtante. Les trois gnawas sont ses Princes en habits colorés, ses danseurs aux pieds légers, ses serviteurs admirables. Ce sont eux qui donnent voix aux gestes silencieux et sensuels de leur reine venue tout droit d'un conte des Mille et Une Nuits, une reine couleur de sable et de peau brunie au soleil. Jane Allan est une Reine du désert venue enchanter le vert Verger des Vieilles Charrues.
Texte : Pierre Abgrall