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Quand le Chili s’invite en cuisine ! [La Patriòtico Interesante]

entretien avec Ignacio Achurra, directeur artistique et comédien de La Patriòtico Interesante

mercredi 1er août 2007, par Mathieu Nihouarn

Nous sommes fin juillet et le soleil daigne-t-il enfin poser ses rayons sur la Bretagne ? En tout cas, il fait beau et chaud à Brest ! Mais les membres de La Patriòtico Interesante ne peuvent profiter totalement de ces journées ensoleillées car Les Jeudis du Port, Les Nocturnes de Saint-Brieuc et le FAR de Morlaix se profilent à l’horizon. Avant de se diriger vers la Mairie de Brest où la compagnie est invitée, je me faufile vers Ignacio Achurra, surnommé Nacho, pour qu’il connaisse l’honneur d’être le premier artiste chilien à apparaître dans ces pages, mais surtout afin de découvrir ce directeur artistique/comédien engagé et passionné...

Quel est ton métier ?

Nacho : Je suis comédien. J’ai étudié le théâtre à l’Université du Chili. Ensuite, j’ai écrit beaucoup de pièces de théâtre. Dans la compagnie, je suis aussi directeur artistique, metteur en scène, mais j’ai d’abord étudié pour devenir comédien.

Peux-tu revenir sur le parcours de la Patriòtico Interesante ?

Nacho : La Patriòtico Interesante est née par rapport aux activités que je pouvais avoir à l’Université du Chili, il y a six ans. Lors d’un mouvement de grève pour contester le système d’éducation chilien, nous avons occupé l’université pendant un mois. Grâce à cette expérience, j’ai pu rencontrer notamment Pablo, Katy et Renato. Cet esprit révolutionnaire nous a rapproché et nous avons formulé le souhait de créer une troupe de théâtre de rue qui parle des problèmes sociaux, politiques du Chili, une troupe qui se veut également populaire.

Notre premier spectacle s’appelait « La Epopeya de Juan el Crespo » ( L’épopée de Juan el Crespo ), et nous avons remporté le prix national de la première direction artistique au Chili. Cette récompense nous a motivés pour continuer le travail. On a eu la possibilité de faire une tournée au sud du Chili, en passant par de petites villes, très pauvres, et c’était vraiment une très grande expérience. Ensuite, il y a eu d’autres spectacles dont « La Guerilla Carnaval », une création déambulatoire, et on a commencé à travailler sur ce spectacle, « El Jabali » ( Le Sanglier). Voilà pour cinq années de théâtre de rue.

Pourquoi privilégiez-vous l’espace public pour vous exprimer artistiquement ?

Nacho : L’Université où j’ai étudié est la plus importante du pays et la plus côtée. Mais on ne travaillait pratiquement que sur scène. Un jour, j’ai travaillé avec un grand maître du théâtre-cirque chilien, Andres Del Bosque : il m’a montré un autre monde du théâtre, une autre façon de faire du théâtre, plus proche du peuple et j’ai vraiment adoré cette possibilité de faire un mélange entre discours social, politique et la qualité artistique. C’est ce que nous recherchons vraiment au sein de la compagnie.

Revenons à « El Jabali ». Pourquoi avoir décidé d’adapter à votre façon cette pièce de Shakespeare ?

Nacho : La première fois que j’ai lu « Richard III », je l’ai adoré ! Ce texte est paradoxal : très complexe et même temps très simple ! Dans le texte original de Shakespeare il y a un antécédent fondamental qui guide toute la volonté sanguinaire de Richard III de devenir un dictateur terrible : toute cette « motivation » vient de la discrimination de sa mère qui le rejetait parce qu’il n’était pas beau, comme un sanglier. Et à partir de ce qui est, pour moi, un détail insignifiant, il est possible que de cette situation, il naît un dictateur terrible, mais aussi une violence contre la société, contre tout le monde. Pour moi, le contexte affectif, matériel est quelque chose de très important dans l’Amérique Latine. Et il peut déterminer une personne.

En Amérique Latine, et en Europe également, il y a malheureusement une grande histoire de dictateurs. Le pire, c’est que la grande majorité des dictateurs a été choisie par le peuple et je trouve ça impressionnant. Par exemple, Bush, notre « sanguinaire contemporain », a été élu par les citoyens américains. C’est pour ça que je crois que « Richard III » reste une pièce très actuelle.

Ce qui fait l’originalité d’ « El Jabali », ce sont les trois musiciens qui accompagnent les faits et gestes des comédiens sur scène. Font-ils partie intégrante de votre compagnie ?

Nacho : Du spectacle et de la compagnie ! Ils participent au travail de groupe et on peut les retrouver dans les deux autres spectacles : « La Epopeya de Juan el Crespo » et « La Guerilla Carnaval ».

Avec El Jabali, on voit clairement le rapport entre modernité, avec la musique électrique, et tradition, les masques et le choix de la pièce. Est-ce voulu dès le départ ?

Nacho : Notre choix artistique, c’est un mélange des traditions et du « neuf ». Il y a la grande tradition du théâtre en Europe : la Grèce, l’époque Romaine, puis le théâtre médiéval de l’Espagne, la Comedia Dell’ Arte en Italie, et aussi le théâtre populaire de la France, les clowns, les saltimbanques, le cirque... cette tradition pour moi est fondamentale pour le travail avec les comédiens et les musiciens et dans le cadre de la mise en scène.

Mais il y a aussi la tradition d’une expression populaire, une expression de la rue latino-américaine : les carnavals, comme au Brésil, en Bolivie... Tous les pays ont des carnavals qui sont très différents. Au Chili, les carnavals sont connotés très fortement par la religion catholique mais aussi par la révolution qui est précisément contre l’Eglise ! C’est assez bizarre. Nous, nous prenons les deux traditions et nous travaillons avec.

Et le côté moderne, avec le rock, apparaît également. Mais si ça avait bien marché avec le jazz ou l’opéra, parfait. Le plus important, c’est de chercher une identité personnelle collective qui nous identifie.

Vous êtes nombreux dans la compagnie. Ce n’est pas trop difficile de travailler tous ensemble ?

Nacho : C’est très spécial. Mais pour nous, le plus solide dans notre manière de travailler, c’est notre relation. Nous avons tous un métier à côté, à l’opposé du milieu dans lequel nous évoluons, et le soir, nous nous mettons à travailler sur nos créations.

L’impératif dans notre compagnie pour que l’on continue, c’est que tout le monde aime ce que l’on fait, que tout le monde s’identifie avec le discours, l’esthétique, sinon, ce n’est pas possible. La relation humaine à l’intérieur de la compagnie, le sens de la compagnie, d’une troupe qui a une conviction et qui a une envie de combattre ce qui est mal dans notre société, voilà ce qui est important.

Mais en même temps, c’est très fragile. Si il y a désaccord au sein de la compagnie, elle s’écroule, c’est fini. Lorsque tu as un job, si tu n’aimes pas celui qui est avec toi, ton patron, ce n’est pas grave. Dans la compagnie, il n’y a pas réellement de patron. Mon « pouvoir » de directeur artistique est plutôt imaginaire, malgré les responsabilités car on s’écoute mutuellement.

Cela doit être une sacrée expérience de découvrir d’autres pays, notamment la France ?

Nacho : La France a une vraie structure de travail, une dignité pour la création artistique qui n’existe pas au Chili. Il y a beaucoup plus de développement. Pour nous, travailler dans un lieu spécifique avec de l’argent, participer au festivals,... Il y a tout ce qui faut pour faire bien le travail et c’est vraiment phénoménal, magnifique. Et l’on apprend énormément de cette expérience et de l’aide que peut donner l’Etat aux artistes, et que le Fourneau peut nous donner.

D’un autre côté, nous avons une chose que les pays riches ont des difficultés à maintenir : la rage contre le monde, la société. Il faut avoir la rage, la nécessité, la volonté de dire les choses. Quand tu reçois ton argent, tu rentres chez toi, tu manges, tu prends le bus... Tu t’éteins un peu à l’intérieur de toi, tu te dis « il y a des problèmes, mais bon... ». Mais quand tu vis dans un pays, une société, un continent où beaucoup de choses vont très mal, il y a une volonté de combattre ces maux et de le dire, de refuser qu’il te représente. C’est une énergie qui naît de la nécessité. Mais si nous pouvons organiser des rencontres entre les structures françaises et la volonté Latino-Américaine, on peut vraiment faire de grandes choses. Et c’est pourquoi il est très important que nous travaillons en France et ici, au Fourneau.

Merci à Nacho pour sa disponibilité et son français parfait.

La Patriòtico Interesante est en résidence au Fourneau jusqu’au 10 août.

Plus d’infos sur :www.lapatrioticointeresante.cl

1 Message

  • J’ai aimé lire ce reportage parce qu’il interpelle sur l’existence...si notre vie tourne autour de nous-même, pour satisfaire des envies , des pulsions, comme nous le démontre tous les jours la télé-réalité, mais quelle est la valeur de l’humain dans ce monde ? Cela devrait être universel le sens des autres mais voilà,...c’est pas inné...et comment ça s’apprend ?
    Bravo pour ce coup de projecteur sur ces artistes qui nous réinjectent du sens et l’essentiel... la révolution est un mode de pensée à mettre en oeuvre , au quotidien par un énorme effort sur soi-même pour échapper au magma, pour s’ouvrir au bonheur des rencontres croisées...porté par l’humilité, et l’ambition affichée, qu’un petit peu de conscience de chacun s’ajoute à la conscience collective pour développer une société plus collective, plus attentive, plus solidaire...

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