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Pic et Piques et Alama’s [Les Alama’s Givrés]

entretien avec la compagnie des Alama’s Givrés

jeudi 31 mai 2007, par Mathieu Nihouarn

Vendredi 25 mai : c’est la fin de la résidence des Alama’s Givrés, avant leur dernière expérimentation publique à Lanmeur. Mais c’est aussi le bon moment pour proposer aux deux co-directeurs artistiques, Laurent Desflèches et Patrick Dordoigne, un petit entretien. Ceux-ci me proposent alors la participation de leurs acolytes. Pourquoi pas ? Juste avant le repas de midi, je retrouve donc la compagnie au grand complet...

Dans cette rubrique, mes prédécesseurs commençaient très souvent leurs interviews par cette question : quel est votre métier ?

Laurent : Comédien.

Jean-Philippe : Artiste dramatique.

Agnès : Dramatiquement artiste.

Chantal : Régisseur - constructeur.

Seb : Régisseur - projecteur.

Hervé : Artiste - technicien.

Michel : Musicien - constructeur.

Est-ce que vous pourriez revenir sur le parcours de la troupe depuis sa création ?

Patrick : La troupe a été lancée en 1992 et se réduisait au début à deux personnes, à savoir Laurent Desflèches et moi, Pat Dordoigne. Très vite, nous avons été rejoints par Laurence Schapman, qui ne nous a pas quitté depuis lors, puis par Maro Avrabou sur un premier spectacle Raoul Moil’Sel Cuisinier.

Laurent : Laurence s’occupant de l‘administration et Marou de la technique.

Patrick : On s’était rencontrés avant dans une compagnie dans laquelle on avait travaillé ensemble pendant quelques années qui s’appelait, et qui s’appelle toujours, la compagnie Oposito. A partir de là, un certain nombre d’autres personnes nous ont rejoints : comédiens, techniciens,...

Certains sont là, notamment Agnès et Chantal qui nous ont rejoints à partir du troisième spectacle, Givropolis, qui fait partie de La Trilogie des Castellets, le premier étant le spectacle de Raoul, le deuxième Toubib or not Toubib, et le troisième donc Givropolis, tout ça à un rythme de trois ans par spectacle, ce qui nous fait déjà pas loin de neuf à dix ans d’histoire. Pour la suite des aventures...

Laurent : Après cela, on est rentré dans une autre trilogie : les Manèges d’Aventures dont les manèges servent à raconter une histoire. Il y a eu La Pirogue, où on avait une pirogue qui traversait la jungle urbaine, Les Hallucinantes Aventures de Don Quichoutte et Fanjio Pancha, où on part à la quête d’une dulcinée, une adaptation libre du roman de Cervantes. Cette année, on a crée notre troisième et dernier manège d’aventures qui s’appelle Le Pic de Hubbert qui raconte l’histoire de la fin de l’ère du pétrole, du dernier litre d’essence.

Sur les derniers spectacles, on est toujours à peu près une dizaine, et avec Patrick on a crée l’année dernière un petit duo qui s’appelle Formation Incognito, un spectacle déambulatoire, léger, de petite forme, et on a commencé une nouvelle trilogie sur l’information. Mais là, je m’avance un peu, je donne des infos à mes collègues.

Pourquoi avez-vous décidé de vous exprimer artistiquement par l’art de la rue, l’espace public ?

Agnès : Il y a des raisons de rencontre, de parcours. La rencontre avec la rue s’est faite et c’est vrai que d’être à l’intérieur de cet univers, ça développe d’autres choses, on a un autre rapport au public, à l’espace, d’autres rapports en tant que comédien. C’est expérimenter les choses autrement et aller à la rencontre d’un public qu’on ne rencontrerait pas ailleurs, parce qu’il y a vraiment un public spécifique. Après, ce sont des affaires de parcours, de cheminement personnel. Je ne peux pas dire que c’est un choix délibéré, que j’y ai réfléchi. Ce ne serait pas vrai.

Michel : J’ai choisi les arts de la rue par hasard et parce que les Alama’s m’ont fait une bonne offre !! Ils m’ont demandé de jouer avec eux, et voilà.

Chantal : Moi, c’est un vrai choix. Par pour le public mais pour travailler dehors, et pas à l’intérieur.

Jean - Philippe : Moi qui suis plutôt un « artiste de salle », si vous aviez été en salle, j’aurais été en salle !! C’est pour vous suivre que je suis dans la rue ! Sinon, personnellement, je travaille aussi en salle. C’est très différent. Le public ne vient pas dans le même esprit. Le théâtre de rue, c’est plus un esprit de fête, c’est beaucoup plus populaire, on touche beaucoup plus de gens. C’est sûrement moins élitiste. Après, on essaye de jouer un peu partout : avec Patrick, on joue à l’hôpital, j’ai aussi joué en prison. On essaye d’amener le théâtre un peu partout.

Patrick : Et il lui aura fallu quinze ans pour se décider, car on lui avait proposé d’être au début des Alama’s, en trio. Cette teigne a refusé à ce moment-là, et voilà, maintenant, il se rend compte à l’évidence que c’est pas si mal, quinze ans après.

Comment vous-est venu l’idée de créer ce spectacle le Pic de Hubbert sur un sujet d’actualité ?

Laurent : Ben voilà, tu l’as dit : parce que c’est un sujet d’actualité ! Parce que ça touche les gens. On a toujours fait un sujet qui touche les gens, des sujets où ils sont quelque part impliqués dedans, qu’on fasse un spectacle sur la médecine ou sur la ville. Par exemple, Don Quichoutte est un spectacle qui s’intéresse au évènements qui ont touché notre profession. Et pour cette nouvelle création, la fin de l’ère du pétrole, l’écologie, les changements climatiques : on aborde des thèmes de société, et comme on joue dans un espace ouvert, où les gens ne viennent pas forcément au spectacle, ils peuvent être aussi happés par le spectacle, entendre de la musique et y aller. Quand on leur parle de quelque chose, ça apporte un dialogue avec le public, même si on joue.

Patrick : A chaque fois, il y a un sujet de préoccupation, même avec un ton qui est à la farce, très comique, d’avoir quelque chose qui soit traité à l’intérieur. Ce sujet là, il va quand même toucher quasiment tout le monde sur la planète. Donc c’est peut-être pas mal de s’y intéresser.

Laurent : Des sujets ouverts en fait.

Comment s’est passé le travail de création autour de ce nouveau spectacle au sein des Alama’s Givrés, vu que vous êtes assez nombreux ?

Laurent : On se partage les tâches, vu qu’on est tous multi-fonctions. Par exemple, Michel est constructeur mais aussi musicien, il a de plus un talent comique inné. Il peut faire plusieurs choses, ce qui est le cas de pas mal de gens comme Hervé, Patrick, qui est à la fois comédien mais qui écrit aussi les dialogues, moi qui fais la construction et qui suis aussi comédien.

Après, avec Patrick, on choisit un sujet, un thème, on va définir la scénographie, et après on travaille en improvisation avec l’équipe des comédiens, les musiciens, on est aidé en cela par Frédéric Fort de la compagnie Annibal et ses Elephants, qui va avoir un regard extérieur au spectacle. A un moment donné, vu que Pat et moi on construit mais on joue aussi dans le spectacle, on a besoin de quelqu’un qui nous regarde de l’extérieur, qui va aussi faire du travail d’écriture et ensuite, chacun réecrit ses textes.

Michel, lui, choisit la musique, il improvise sur nos improvisations, et après, on discute, on travaille, c’est une histoire de va-et-vient, de retour. Des fois, on se bat, c’est la guerre un peu. Il faut savoir ce qu’on va couper, ce qu’on va pas couper, ce qu’on va faire. En impro, on travaille tous en commun et c’est pas parce que t’as fait une impro toi que ça va être toi qui va la jouer, ça peut être de la matière pour tes collègues. On travaille par étapes, on arrive pas avec tout écrit, tout fait.

Dans ce spectacle, on travaille avec les machines, c’est un travail aussi sur le transport, les machineries ont été faites avant mais la scénographie qui va supporter l’éclairage, "l’espace de jeu", a été définie en cours de création.

Jean-Phillipe : Ce qui est intéressant, c’est que les machines ont été crées avant les scènes. Par exemple, on avait une jeep, un avion ou un surf, et les scènes se sont construites autour de ces objets. On a pas écrit la scène en se disant : « Ah tiens, ce serait bien qu’on ait cet objet-là à tel moment ». On a pris les objets, on a fait des impros, des impros, des impros, pour trouver ce qu’on pouvait faire avec ces moyens de transport. C’est prendre le processus à l’inverse et c’était intéressant.

Patrick : Comme une contrainte de jeu en fait.

Laurent : Mais comme les machines ont aussi un aspect ludique, il y avait quand même une petite idée de comment s’en servir, c’est à dire qu’il y a des machines où il y a des effets : après, c’est comment dans notre histoire, on fait pour placer notre effet.

L’avion, il est venu d’une certaine façon, il fallait qu’on arrive à l’amener dans le spectacle puisqu’il y avait un côté spectaculaire, tout comme le marteau. Et la question, c’était : « comment ça allait être percutant ? ». Je dis percutant parce que c’est pour le marteau !

J’ai trouvé une citation d’Hubbert qui dit : « Notre ignorance n’est pas aussi vaste que notre incapacité à utiliser ce que nous avons », et je trouve que ça colle bien avec le spectacle...

Patrick : il ne faut pas ériger sa cécité en règles de perception. T’as vu ? Paf, ping-pong. Tu peux la répéter ?

« Notre ignorance n’est pas aussi vaste que notre incapacité à utiliser ce que nous avons ». Notamment, lorsque le public découvre votre bidon-caravane fait de matières recyclées, et montre la capacité, et non l’incapacité, que vous avez à utiliser ce que vous avez autour de vous.

Laurent : Moi, il y a un truc qui me surprend toujours, c’est que les gens voient dans le spectacle des choses que l’on a même pas vu. On y a pas forcément pensé et pourtant, ça y est. Pas tout quand même ! Moi, je trouve ça super. C’est des surprises. Ca veut dire que tu leur a apporté des trucs mais ils t’apportent des choses aussi. C’est pour ça qu’il y a un vrai échange. Et ça, c’est quelque chose que permet la rue. A chaque fois que je vais à des spectacles en salle, je ne vais pas discuter avec les comédiens, parce qu’ils sont en loge, alors que dans la rue, ils nous arrivent très souvent de discuter avec les gens et c’est très agréable.

De nos jours, le discours sur l’écologie est plutôt alarmiste, pessimiste et vise à effrayer les gens. Vous avez pris le contre-pied en proposant le même discours mais sous une forme plus humoristique, ludique, mais pas légère. Considérez-vous que c’est une manière tout aussi forte d’interpeller le spectateur ?

Laurent : Les Alamas Givrés ont fait des spectacles burlesques, comiques, humoristiques, décalés, mais traitant de sujets de société. Voilà, c’est une façon d’aborder des problèmes qui ne sont pas forcément drôles.

Chantal : C’est un choix artistique.

Jean-Philippe : Aujourd’hui, ça passe mieux, c’est sûr, par le rire que par un slogan ou quelque chose comme ça. C’était le cas dans les années 70, mais plus maintenant. Par rapport à ce thème qui est quand même assez lourd, finalement, le parti-pris de le bouffonner, d’en faire une farce, les gens sont plus à même de le recevoir.

Laurent : C’est un spectacle militant dans l’ensemble. Un mec qui gueule, le poing levé, je vais l’écouter, mais si je le vois et que je rigole, à un moment ça va me forcer à réfléchir, à penser par moi-même et me faire une opinion d’une façon un peu différente. C’est pas comme si on me l’avait imprimé dans le crâne en disant : « C’est ça qu’il faut faire ! ». « Regarde, c’est moche ! Non, je trouve pas ça si moche ». Tu vois ?

Je trouve ça beaucoup plus intéressant si on m’amène à réfléchir. Et moi, en plus, j’aime bien rire. Et c’est ce qui me différencie des animaux, quand même ! Et quand on travaille avec des artistes comiques, comme Hervé, Michel...

Patrick : Erwan !!

Laurent : Erwan, qui n’est pas là, qui ne dit rien, c’est normal, c’est lui qui s’occupe du son.

Si vous avez un petit message à faire passer aux « fourneautes » :

Laurent : N’ oubliez pas de sortir de votre écran et de votre clavier pour voir ce qu’il se passe dans la vraie vie. Bien qu’ Internet, c’est surement la vraie vie.

Agnès : Je m’appelle Agnès, j’ai 41 ans, si ça intéresse quelqu’un, je suis ouverte. Non, je déconne ! Quoique...

Michel : Qui c’est qui a baissé le son du disque que j’ai gravé hier, alors que j’étais pas là ? Attention, parce qu’il va avoir à faire à moi.

Jean-Philippe : Et aussi , bientôt les Alama’s dans Second Life ! Un spectacle de rue dans Second Life !

Patrick : Tu lances ça ? C ’est bien ça !

Laurent : C’est quoi, second Life ?

Patrick : Un monde recrée sur Internet...(s’en suit une discussion sur les possibilités de ce monde virtuel qui n’aurait pas sa place dans ces pages).

Merci aux Alama’s pour leur disponibilité et leur bonne humeur.

Les Alama’s Givrés étaient en résidence au Fourneau du 21 au 25 mai

La dernière création des Alama’s Givrés sera présentée au FAR de Morlaix, mais également le 9 août à Plouguerneau dans le cadre du Printemps des Arts de la Rue en Pays des Abers.

Pour plus d’infos sur la compagnie : www.alamas.org

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