Espace d’entretiens dédié aux mots et à l’écriture (portraits sensibles d’artistes, coups de gueule et paroles brûlantes...).

Vous consultez les archives 1997- 2012 du Fourneau.
Pour consulter le site actuel, c'est par ici :

www.lefourneau.com

De Belsunce jusqu’au Fourneau avec le Collectif Ex-Nihilo

Entretien réalisé au Fourneau avec le Collectif Ex-Nihilo

vendredi 2 avril 2004, par Kevin

Qu’est ce que ça veut dire « Collectif » ?

Anne
Au départ on était un groupe de danseurs, on avait envie de danser dans la rue. On n’avait pas envie d’être des danseurs pour un chorégraphe, on voulait signer nos créations, sans le faire au nom de quelqu’un en particulier. On le fait au nom du Collectif Ex Nihilo. Le collectif où tout le monde décide de tout, ça me parait un peu utopique ... On ne vote pas pour savoir si le costume sera rouge ou vert... n’importe quel groupe a besoin de personnes identifiées comme leaders, c’est ce qui entraîne une certaine pérennité du groupe. On le manifeste comme ça parce que les gens qui travaillent chez Ex Nihilo défendent un type de travail, d’esthétique, une manière de faire de la danse dans la rue. Il y a une certaine adhésion au projet artistique. Y’ a peu de gens qui sont passés chez Ex Nihilo juste pour danser. Le projet Passants a été écrit et défini en amont, on essaie d’être clair pour pouvoir travailler et donner nos points de vue.

Jean-Antoine
C’est un projet en deux étapes, amorcé il y a deux ans. Implantés dans le quartier de Belsunce à Marseille, on a dansé tous les jours dans la rue pendant quatre mois à raison de deux heures d’impro par jour, sans musique, sur des propositions uniquement en solo, on choisissait un endroit dans la rue qui nous tenait à cœur... On a refait la même chose à Cuba et à Beyrouth.
Ces voyages dans les quartiers, autour de populations différentes nous ont nourris pour passer à la deuxième étape qui est la création de « Passants ». Nous investissons un lieu, un espace et on le modifie complètement, en y amenant tout le vécu de nos expériences, celles qui ont donné les thèmes et la matière de la pièce.

Anne
La première étape était de poser un acte particulier, de danser dans la rue, stricto sensu, en improvisation, pas de convocation particulière d’un public, avec les passants, à l’improviste... Cet acte-là a provoqué énormément de rencontres avec les gens dans la rue. Maintenant on transmet cette expérience et on convoque un public qui vient voir un spectacle, ce n’est plus un hasard.
La rue a nourri notre réflexion, elle est notre source d’inspiration. On choisi de jouer à l’intérieur, pour faire l’aller retour entre le dedans et le dehors. Pour retransmettre notre aventure, on avait besoin d’un espace plus concentré. La rue c’est bien, à plein de niveaux, mais c’est aussi une dispersion énorme qui nécessite un effort de concentration. A Belsunce on avait cet ancrage dans le quotidien avec l’envie de créer une relation avec les passants et les habitants, avec à l’esprit aussi de faire le lien avec un public plus averti. Il y a eu trois rendez-vous donnés au public, mais en intérieur, dans un atelier d’artistes. La population de ce quartier est en proie à des expulsions plus ou moins polies et directes avec une municipalité qui veut complètement transformer le paysage urbain. On n’avait pas envie d’y contribuer en faisant venir un public averti, cultivé du centre ville ... On ne voulait pas y contribuer même si ça ne change rien dans la réalité. Ce public -là était convoqué dans un lieu de spectacles. Cette idée de dedans dehors s’est faite pour cette raison là, dans le rapport de respect avec les gens du quartier. Nous on y faisait un truc particulier, on n’avait pas envie de voir 30 personnes chaque jour en train de regarder des danseurs et que les habitants, soient en quelque sorte exclus de cette histoire. On donnait les jours et les heures mais pas le lieu, il fallait faire la démarche de venir jusqu’à l’atelier d’artistes. C’est cet intérieur qu’on a voulu développer et qu’on finalise au Fourneau.
Ca représente deux ans de travail, pour nous il y a une espèce de logique à commencer au ras de la rue, à se redemander pourquoi on danse dans la rue, ce que ça représente d’être quatre danseurs au milieu d’un quartier.

Dans notre intérieur, le public déambule, il n’y a pas de barrières, de scène frontale. On prend de la distance, c’est la première fois qu’on le joue loin de Belsunce, lorsqu’on y a joué, les gens ont pu apercevoir ou reconnaître le quartier.

Ce projet urbain, on va le réitérer à Varsovie en juillet pendant une semaine, en invitant des artistes de la ville. Etre dans le quotidien. Les villes, les gens qui nous invitent doivent accepter aussi le fait que ce n’est pas formaté comme un produit spectaculaire, avec fiche technique etc. C’est une voie que l’on veut conserver.

Est-ce que les espaces que vous avez croisés vous ont fait bouger différemment ?

Jean-Antoine
Le lieu influence. Notre travail est en relation avec le mobilier, l’espace. Et en même temps on amène un univers assez propre. On a une manière de l’aborder qui prévaut. Nous confrontons deux univers. Il nous faut trouver des espaces nouveaux. On a commencé très petit, dans une petite rue, on était de plus en plus à l’aise dans la manière de danser, d’être avec les gens. Chaque nouveau lieu amène des espaces à découvrir. En intérieur c’est pareil, on est en train de s’approprier le Fourneau, qui est un espace que l’on ne connaît pas, on remet en place la structure du spectacle. Il faut que l’on se sente bien !
La danse aide souvent les gens à effectuer leur propre voyage. On travaille sur des thèmes, des sujets que l’on a envie de questionner et en même temps, si le spectateur voit ce que l’on veut dire, il peut aussi partir sur ses propres envies, c’est une relation très primitive entre le corps et l’esprit. On n’a pas envie de dire « c’est ça qu’on dit ».

Lisa
Quand on dansait dans les rues, on était témoin de choses, comme si un passant décidait de s’arrêter là et de regarder ce qui se passe. Ce n’est pas que dire des choses, c’est aussi une façon de marcher, de s’arrêter, de regarder, on est témoin d’un univers. On est empreint d’un témoignage. Ici, ce que l’on va proposer, ce sont des choses que l’on a éprouvées, ce n’est pas de l’instantané.

Anne
Le projet artistique est aussi un positionnement. On a une façon propre de danser, on a invité des gens très ponctuellement à venir danser avec nous, sans répétitions rien. Ca nous a fait ressentir le fait que l’on a une façon très particulière d’être entre nous, et que les personnes qui étaient là pour deux heures, elles étaient dans une énergie et un rapport complètement différents. On se pose, et on développe un travail qui va rentrer en interaction avec la vie autour. Forcément, on est perméable à ce qui se passe et on pose aussi notre présence. C’est une superposition de deux choses. On est très investi physiquement, dans un langage commun, c’est ça notre acte. On ne cherche pas la confrontation, ni à rentrer absolument en contact avec les gens, à inter-agir avec eux. On est là et les gens sont là. On est très ouvert à être regardé, interrompu et après, ce sont des rencontres très personnelles. Les gens qui viennent nous voir pour dire quelque chose, c’est ne pas pour parler du projet de Ex-Nihilo, c’est pour dire « qui tu es ? » etc. Ca se passe au niveau de la relation humaine. Et ça revient sur le groupe ensuite. C’est une espèce de pompe qui respire. Et la danse, c’est un langage particulier qui ne passe pas par une analyse précise, nous, on sait clairement ce que l’on a envie de travailler, mais après la perception que le public en a peut-être complètement opposée. Et cette manifestation appartient à la danse...

Jean-Antoine
Et ça nous enrichit, les choses auxquelles on n’avait pas pensé. On le réintroduit après dans la façon d’aborder la pièce.

Anne
L’idée dans l’espace de Passants, c’est qu’il n’y a pas de différence entre la scène et la salle comme dans la rue. S’il y a un message entre guillemets, le rapport que l’on aimerait bien installer, c’est que le public perçoive clairement qu’il n’y a pas de distance entre la scène et la salle. Il peut être proche et loin. Il peut regarder de la manière qu’il veut et se positionner dans l’espace comme il le désire, ce qui n’est pas forcément facile. Dans la rue, on peut être épié de très loin ou être juste à côté de quelqu’un. On lui offre cette possibilité d’être où il veut avec toutes les limites que l’on peut expérimenter : tu rentres difficilement au milieu d’un espace scénique, c’est pas si simple. Mais c’est une chose que l’on veut expérimenter.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0