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Les haïkus multimédias

Observation et analyse des usages des technologies d'information et de communication
dans les "ESPACES CULTURE MULTIMEDIA"

ATELIERS DE CREATION ET D'EXPRESSION ARTISTIQUES
DANS LES "ESPACES CULTURE MULTIMEDIA"
Etude thématique

Serge Pouts-Lajus
Septembre 2000

 


Le haïku est un court poème de la tradition poétique japonaise ayant 3 vers de 5, 7 et 5 syllabes. Par extension, il a été suggéré d'appeler haïku multimédia, une petite pièce artistique multimédia consultable sur le Web et réalisée par un tandem constitué d'un animateur multimédia et d'un artiste. A ces deux premiers principes - brièveté de l'œuvre, co-réalisation par un artiste et un technicien -, est ajouté un troisième : les haïkus sont créés dans un contexte coopératif et d'un événement auquel collaborent plusieurs organismes ; de plus, les artistes qui participent à la création d'un haïku peuvent provenir d'horizons variés, art plastiques, littérature, théâtre, danse, etc. Brefs, multimédias, interdisciplinaires, collaboratifs et consultables sur le Web, tels sont les haïkus multimédias.

L'idée est née dans le cadre des "Controverses d'Avignon", un événement organisé chaque été depuis 1998 par Avignon-Public-Off avec des partenaires parmi lesquels on compte la Friche de la Belle de Mai de Marseille, Culture Commune de Loos-en Gohelle, la Friche Collectif 12 et le Chaplin de Mantes-la-Jolie. Les haïkus ont été créés au cours de deux sessions, la première à Marseille en février, la deuxième à Mantes-la-Jolie en avril. Emmanuel Verges, responsable de l'ECM à la Friche et Claudine Dussolier, l'une des instigatrices des Controverses, en sont les principaux animateurs Les haïkus multimédias sont visibles sur le site de la Friche.

Le projet des haïkus multimédias repose, au plan artistique, sur un pari qui est le même que celui sur lequel s'est bâti tout l'art électronique : un pari sur la capacité d'artistes à s'emparer pour leur compte des potentialités offertes par les techniques numériques. Au plan de l'organisation, les haïkus sont un pari sur la capacité d'artistes et d'animateurs multimédias à travailler efficacement ensemble. Une expérience, observée en 1997, de formation conjointe d'élèves d'écoles d'art et d'élèves ingénieurs par le LLE (Laboratoire Langage Electronique) et le CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) avait montré qu'une telle coopération se heurtait à plusieurs obstacles parmi lesquels :

  • le niveau insuffisant de culture artistique des élèves-ingénieurs ;
  • la difficulté des élèves-artistes à formuler clairement leur projet ;
  • des différences irréductibles entre les types de relation à la technique :
    • empirique et focalisé sur les technologies émergentes pour les élèves-artistes ;
    • systématique et spécialisé sur les technologies stabilisées pour les élèves-ingénieurs.

On retrouve certains de ces obstacles dans le processus de création des haïkus multimédias mais dans une forme beaucoup moins exacerbée car le profil des animateurs multimédias est très éloigné de celui des ingénieurs du CNAM. Yffic Cloarec, informaticien à l'origine, aujourd'hui responsable de l'ECM du Fourneau à Brest, est un informaticien atypique. Sa coopération avec Pascal Rome, metteur en scène, pour créer l'haïku intitulé La fameuse histoire des tigres lilliputiens est sans ombre. Mais dans d'autres cas, le contexte particulier des haïkus fait apparaître des difficultés particulières.

Le processus de création d'haïkus multimédias commence par une séance au cours de laquelle les artistes définissent brièvement leur intention, le sens de ce qu'ils souhaitent exprimer. Mounsi choisit un thème qui s'identifie à celui de sa résidence : "murs de Mantes, murs de la Friche, mur de l'écran, murmures". La première session de Marseille se déoule, de son point de vue, de façon très satisfaisante : "Avec Ghyzlaine, on a fait un haïku sur les grafitis de Marseille, en écho à ceux du Val Fourré. J'ai retouché ces grafitis comme le ferait un peintre ; j'ai repris des mots sur les murs, j'en ai inventé d'autres, des phrases sur lesquelles je réécrivais". Mais la seconde session de Mantes sera pour lui beaucoup moins réussie : "A Marseille, nous étions tous dans la même salle. Nous avons travaillé ensemble. Certains m'ont prêté leurs voix et moi j'ai tourné une scène de danse pour un autre. A Mantes, quelques mois après, ça ne s'est pas passé de la même façon. Le charme s'est rompu. Il n'y a pas eu de coopération entre nous. Chacun était sur sa machine ; personne ne bougeait. A Marseille, on était tous logés au même endroit, il y avait un climat de confiance. A Mantes, chacun allait de son côté. C'est peut-être à cause de cela ; je ne sais pas. Peut-être, aussi, l'ambiance du Val Fourré qui est assez dure. Ce sont des choses subtiles."

Dans une ambiance moins chaleureuse, le défaut de complicité et de complémentarité entre l'artiste et l'animateur multimédia peut s'avérer fatal. Mounsi et Ghyzlaine finiront par renoncer à créer ensemble un deuxième haïku. L'animatrice de l'ECM a été frustrée tout autant que Mounsi par la divergence de leurs attentes respectives : "Les artistes, on ne peut pas réaliser toujours ce qu'ils demandent. Et puis, ils ne savent pas toujours ce qu'ils veulent. Pendant la deuxième semaine, Mounsi a changé trois fois d'avis. Il voulait autre chose qui n'avait rien à voir. C'était de l'improvisation. On ne pouvait jamais finir".

En général, la coopération avec un animateur multimédia a été considérée positivement par les artistes : "l'association avec mon binôme, David, a été intéressante et il me semble que nous avons réussi a trouver un terrain d'échange de propositions à la fois sur le plan artistique et technique. L'idée, peut-être folle, de travailler en co-auteur me plaît parce qu'elle dérange et déloge chacun de son endroit habituel. On doit se rendre clair, même quand on ne peut pas, renoncer a certaines choses pour y revenir etc., et nous avons trouvé un mode de dialogue dans le faire." (Anna Mortley) . Plusieurs artistes expriment également un sentiment de frustration à l'égard de la technologie multimédia, provenant le plus souvent du temps important qu'exigerait la maîtrise des potentialités et des contraintes de la technique : "j'ai ravalé mon stress et mes envies de meurtres nés de mon incompétence technique et de mes envies de tout gérer. […] J'aurais aimé terminer mon haïku correctement, j'aurais aimé travailler sur un laps de temps plus long et connaître un peu mieux les possibilités et les incapacités de l'ordinateur" (Corinne Maziéro). Mais ces frustrations qui signalent un désir créatif inassouvi peuvent aussi être perçues comme la promesse de développements à venir : "si l'artiste peut, en amont, évaluer ce qu'il est possible de faire en fonction des logiciels et s'il peut appréhender le jargon propre à la création de site web, le travail avec le concepteur et la mise en place des projets n'en seront que facilités. De plus, cela peut permettre de gérer plus justement les frustrations de chacun" (Virginie Blanc).

Les haïkus multimédias en sont à leur début et nul ne sait ce qu'ils deviendront. Indépendamment de la qualité artistique des objets multimédias auxquels ils aboutissent, les haïkus, les réservoirs d'écriture ou les carnets de fiction, dernière invention en date des Controverses, se présentent tous avec cette dimension collective et événementielle qui fait une partie importante de leur spécificité et exerce donc une influence majeure sur leur qualité. Cette particularité est-elle essentielle ? Peut-on imaginer que, hors de tout contexte, un artiste et un technicien du multimédia puissent s'associer n'importe où et n'importe quand pour créer un haïku multimédia ? Ou bien les haïkus devront-ils, pour préserver toutes les caractéristiques dont ils ont été dotés initialement, continuer à se présenter comme un ensemble de performances collectives et datées ? Pour Emmanuel Vergès, ils ne sont qu'un moment, une étape, un brouillon dans un mouvement de fond qui pose deux questions capitales : "comment les artistes peuvent-ils investir l'espace du Web ? Et comment peuvent-ils le faire en travaillant avec des techniciens ou des animateurs multimédias, mais aussi avec le public ?"


Le Fourneau - Scène conventionnée Arts de la rue [en Bretagne]
11 Quai de la Douane 29200 Brest - Tél. 02 98 46 19 46
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