Scène 1 : Concessionnaire - 18H18
... entrer dans l’espace aseptisé, sol de marbre, musique d’ambiance... sur des podiums trônent les stars de l’année... apparaît le collaborateur chic et classe, sièges capitonnés... se regarder, vérifier que le look colle bien avec le décor... non, vraiment non... expliquer, gênée, les symptômes de la maladie, (il y en a peut-être plusieurs qui se développent)... espérer un regard compréhensif... froideur, un peu de compassion affichée... vous savez , madame, vu son âge, on ne peut rien garantir... l’angoisse... rassembler ce qui vous reste de dignité...
...combien à votre avis, à vue de nez ?... prix prohibitifs, il fait froid tout d’un coup, aucun bruit, isolation phonique, derrière la porte un moment entrouverte, avoir le temps d’apercevoir les techniciens gantés de blanc qui opèrent... gestes chirurgicaux... désolé, madame, on ne peut rien faire, il faut tout changer, le delco, la déco, la voiture... les gants blancs m’apportent un morceau d’organe pour preuve de leur professionnalisme... vous savez, madame, nous avons des occasions récentes ... derrière moi, les stars se marrent... vacherie... chez ces gens-là, on ne répare pas, madame, on VEND !
... vagues excuses... vite repartir... vite retrouver sa vieille guimbarde... le collaborateur vous accompagne, s’incline en vous ouvrant la porte... paroles polies... au plaisir...
Scène 2 : Fourneau - 19h19
La Jurassienne, l’odeur du cambouis, l’odeur des garages de mon enfance, ouverts à toute heure, où mon père m’emmenait le dimanche, je le connais, il a de l’or dans ses mains, avec du vieux il fait du neuf, il répare tout et ça coûtera moins cher, conversations à bâtons rompus, petits arrangements entre amis bien sûr, mais tellement humains et après ça pour sceller l’amitié, le p’tit verre derrière le capot...
La Jurassienne, c’est glauque, c’est sale et ça pue mais c’est chaud parce qu’il y a un cœur qui respire la générosité, la tendresse et l’amour. La Jurassienne, c’est l’autre, c’est la différence, l’humanité. C’est drôle et tellement pitoyable, on rit, oui, on rit de cette ère révolue, on pleure aussi, même si ça ne se voit pas, devant tout cet amour, tout ce vrai... et on se prend à rêver que ça existe toujours, que cette foutue rentabilité n’a pas remplacé tout à fait le p’tit verre derrière le capot, qu’il y a toujours une Jurassienne quelque part...
Métaphore d’un idéal qui s’épuise, litote désespérée de l’authentique et du vrai, peut-être pas chimère...
Rassurez-moi, familles Goydadin,
de père en fils,
d’ici et d’ailleurs,
dites-moi que ça existe encore,
dites-moi qu’un garage,
c’est sale et ça sent mauvais pour de vrai...
autour de nous tout a changé, mais ils nous changeront pas, dites vous...
Pour ce moment de bonheur et de fraternité partagés,
amis de la Jurassienne, je vous aime.