Luc Amoros « Je leur construisais des labyrinthes »

 

Le temps de nous installer dans cet espace, ce petit cocon tout en carton ;

Le temps d'écouter une réalisatrice nous parler de son film sur son lieu de tournage, déballer ses croquis, nous présenter ses personnages : Thésée, le Minotaure, Egée, Ariane, Dédale et toute la bande ;

Le temps pour elle de choisir, parmi les plus jeunes spectateurs, celui qui interprètera le héros, Thésée ;

Le temps d'assister à l'émergence des souvenirs de cette femme... Celle qui, petite, se perdait dans les labyrinthes de forêts et qui, devenue mère, en contruisait en carton pour la plus grande joie de ses enfants ;

Le temps de la regarder préparer son couscous dans le creux de ses mains, avec ces gestes qui ont traversé les générations, comme si, à travers elle, c'était ses aïeules sous nos yeux qui cuisinaient ;

Le temps pour nous de laisser remonter nos propres souvenirs ;

Le temps de comprendre que notre fil d'Ariane à nous, spectateurs-confidents, est celui du mythe de Thésée que l'on nous raconte et qui nous relie à cette femme, à ses souvenirs, et puis aux nôtres par moments ;

Le temps de comprendre, au fil de ses divagations, que l'essentiel ne réside pas vraiment dans la préparation du tournage mais plus dans les divagations en elles-mêmes ;

Le temps de percevoir notre labyrinthe à nous : ce va-et-vient perpétuel entre le mythe intime et le mythe universel ;

Le temps d'une dégustation de couscous, le temps de traverser le labyrinthe en cartons ;

Le temps d'écouter, de suivre, d'imaginer, de faire, de manger, de se souvenir, de se perdre... et le temps du spectacle s'est écoulé, sans même que nous ayions eu le temps d'applaudir... Tout juste le temps de jeter un dernier coup d'oeil au labyrinthe que nous avons traversé, de dire au-revoir à la comédienne qui nous raccompagne jusqu'à la sortie, heureux de nous être laissés prendre dans le piège de carton de la compagnie Luc Amoros !

Texte : Jessica Roumeur