Les 3 points de suspension
Voyage en bordure du bord du bout du monde

Voyage à Brest, le bord du bout du monde

Les 3 points, en résidence l'an dernier au Fourneau, avaient laissé leur « Voyage en bordure du bord du bout du monde » en suspens(ion). Les artistes s'étaient alors livrés à une présentation publique originale; assis sur scène, ils avaient adopté le ton de la discussion badine et de la chanson pour parler de leur travail encore au stade de l'écriture. Nombre des spectateurs présents lors de cette soirée étaient donc curieux de connaître l'évolution de la création. L'expérimentation publique a eu lieu le mardi 25 avril dans la grande halle du Fourneau, devant un peu plus de 350 personnes.

Pour décor, une scène de bric et de broc, des objets étranges accrochés à la structure, un rideau rouge ; somme toute un vrai théâtre ! Un personnage assis à l'orgue accompagne l'arrivée du public en jouant une mélodie lente et funèbre. Il prend bientôt la parole pour prévenir de l'imminence du début du spectacle. Une fois les spectateurs installés, un bonimenteur fait irruption sur scène. Il annonce à coups de mégaphone et de claquettes un « théâtre de la peur, de l'horreur et de l'angoisse ». Son accoutrement est à faire pâlir les dames : chemise brillante couleur argent, slip noir et bonnet de bain assorti, bas résilles et porte jarretelle. L'histoire qui va nous être contée est celle du philosophe Sophocles (prononcez à l'anglaise, Sophoclès), dont la tête est encore vivante. Ce spectacle est une affaire de famille : les frères Grimox tiendront les rôles principaux de cette histoire, à savoir un roi, une princesse (la soeur du roi) et un philosophe.

Le rideau s'ouvre sur une forêt sombre et menaçante, lieu de prédilection du roi pour ses parties de chasse. Le souverain manie l'épée sans faire de quartier : tous les animaux y passent. C'est alors qu'une voix mystérieuse lui apprend que la princesse est tombée amoureuse de l'homme qu'il avait engagé pour lui tenir compagnie, Sophocles. Il faut avouer que le philosophe a beaucoup de charisme. Il distribue roses et sentences au public : « Il n'y a jamais deux crapauds mâles dans le même trou » ; « Toi sur moi et moi sur toi, bientôt on sera trois ». Furieux, le roi décide d'assassiner Sophocles. Il s'entoure de deux éminences noires qui donnent la mort au philosophe en l'empalant et en lui tranchant la tête. Cette dernière est exhibée au bout d'une croix, symbole de la justice royale. Toutefois, la princesse éplorée parvient à garder vivante la tête de son amant en la jetant dans la « rivière de sable ». C'est à ce moment-là que les histoires se croisent : la tête du philosophe dérive au fil du courant et atterrit bientôt dans les filets des frères Grimox qui étaient tranquillement occupés à pêcher. Poursuivis par le roi dont l'appétit de vengeance est insatiable, ils sont contraints de fuir jusqu'au « bord du bout du monde », à la frontière entre notre univers et le leur.

Pour raconter cette histoire, les 3 points de suspension font preuve de beaucoup d'humour : costumes fous, dialogues décalés, ratages divers... Le spectacle s'inspire de l'univers des films d'horreur des années 1950 et notamment du réalisateur Ed Wood ou comment ne pas faire peur ! Parmi les ressorts de l'action (c'est le cas de le dire), citons également le canon qui propulse les personnages en hauteur et les échasses à air comprimé. Ces dernières étaient à la base du précédent spectacle de la compagnie, « Monsieur Baryton et les 3 points de suspension ». Dans cette nouvelle création, les prouesses techniques occupent une place réduite et ne servent qu'à illustrer le propos du narrateur. Passer d'un spectacle acrobatique à un spectacle théâtral d'après cette expérimentation publique, le pari semble gagné.

A l'issue du « Voyage », le public est invité à passer derrière la scène pour admirer la fameuse tête vivante de Sophocles. On lui remet un verre de punch et un ticket vert, sésame pour pénétrer dans l'entresort. Nous n'en dirons pas plus sur ce que l'on y découvre ; laissons la surprise à ceux qui n'ont pas encore vu le spectacle !

Texte : Camille Poiraud
Photos : lefourneau.com

Pour information, Les 3 points de suspension rejoueront dimanche 30 avril à Plouguerneau et lundi 1er mai au Cloître-Saint-Thégonnec.

>> http://www.lefourneau.com/plouguerneau/
>> http://www.artsdanslarue.com/lemai/