Le Fourneau, Carnets de Voyage
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Cronica Andina (4)

jeudi 17 décembre 2009, par Jackà Maré Spino

Le mime sauvera le monde... Etienne Décroux.
Mauvais présage... Jacká Maré.

Vers la fin de notre première semaine de séjour, nous avons vu enfin pointer le nez des autres artistes programmés. Coté Sud-américain : El Niño del Retrete et Daniel Quiroga d’Argentine, La Casa del Silencio de Colombie, Yoel de Cuba, Tuga de Chili, Rulo et El Teatro Frederick de Mexique. Coté européen : Ingrid Irrlitch d’Allemagne, Johnny Melville d’Écosse, Barnaby King d’Angleterre, et pour la France : nous ! (désolé). C’est assez cocasse d’être regardé comme un étranger dans son propre pays. En vingt et deux ans de vie française pas un seul instant je n’ai réussi à me sentir français. Aujourd’hui, je ne suis plus colombien. La boucle est bouclée.

Un bon nombre des compagnies invitées ont un double répertoire : salle et rue. Je pense que les conditions de diffusion dans ce continent y sont pour quelque chose. La plus part sont des artistes "solo". Le reste, des troupes qui vont de deux à six personnes. Coté disciplines artistiques il y a un peu de tout : des mimes de style, des mimes-clown, des clowns textuels, des artistes visuels (genre théâtre de masques, théâtre noir ou théâtre d’objets) des acrobates maquillés en clown, des jongleurs à trois balles, un échassier contorsionniste et une veritable armée, bigarrée et wawache, de mimes de survie : ce sont les artistes du coin. Au niveau style : beaucoup de comique, un peu de dramatique et un seul groupe avec des propositions à caractère politique : celui de l’allemande Irrlitch.

Les invités d’honneur sont deux têtes blanches venues de l’Argentine. Anciens élèves de D’Etienne Décroux, M Escobard et M Lerchundi ont développé, depuis plus de quarante ans, une activité foisonnante de création et de formation : ils ont fondé la seule école de mime de leur pays et ont eu une réelle influence dans l’implantation de cette forme artistique dans le sous continent Américain.

Première mauvaise nouvelle : le cubain ne sera pas parmi nous. Son gouvernement l’a interdit de visa de sortie. Pas une seule protestation. Le seul souci des organisateurs a été de trouver, en vitesse, quelqu’un qui le remplace. Je ne suis même pas sûr que les autres artistes se soient aperçus de son absence. En tout cas, coté solidarité il y a du boulot.

Dès l’arrivée des artistes l’ambiance est devenue survoltée. Qu’est que ça cause les mimes. Mais une réelle chaleur humaine se propage partout où cette armée de joyeux lurons passe : un vrai régal de voir autant de cris, de rires, d’embrassades et de "morisquetas" (grimaces en argot local). Et les passants ont l’air d’apprécier.

Les organisateurs donnent l’impression d’être toujours débordés. Chaque fois qu’on pénètre dans le quartier général du festival on croit être dans une salle de marché où, confinées dans un seul espace, une trentaine de personnes se parlent simultanément et à tue tête, tout en restant accrochées à leur portable. Ici le rire est de rigueur et on commence toujours les discussions par une blague. Malheureusement, on sait rarement à qui demander une réponse et celui qu’on imaginait être notre interlocuteur n’est pas forcement celui qui nous apporte la solution. Il est vrai que l’organisation laisse à désirer et (comme plusieurs d’entre nous avons pu le confirmer ultérieurement) cela peut avoir des conséquences sur le rendu des spectacles. D’un autre coté l’accueil est d’une chaleur, d’une fraternité et d’une générosité émouvante. On se sent portés par des mains pleines d’amour et de passion artistique. Et comme dans une sorte de miracle permanent, tout finit par se résoudre à la dernière minute. C’est le « Macondo » de Garcia Marquez.

Le festival a commencé par une soirée de gala dans un grand théâtre de mille places où plusieurs d’entre nous ont présenté des numéros de clown. L’entrée étant libre, autour de deux mille cinq cents personnes se sont présenté à la porte. Imaginez la cohue à l’entrée. Je n’aurais pas aimé être à la place des organisateurs ce soir là. Au même temps, c’est la preuve concrète que l’art de la grimace et du nez rouge a trouvé sa place dans ces terres.

Avant le début du spectacle j’avais une certaine appréhension car je suis venu présenter mes vieux numéros de salle, dont un avec un baron caché dans le public. Et même si je fus un des premiers de ma génération à proposer ca, il y a une vingtaine d’années, et qu’il est vrai que ce mécanisme à toujours un grand succès auprès du public, aujourd’hui je considère qu’il faut passer à autre chose. Donc, j’avais peur que ma proposition soit considérée comme datée. Mais quand j’ai vu que dans tous les numéros des autres artistes il y avait toujours un passage ou il fallait faire monter un spectateur sur scène, j’ai compris qu’ici mon numéro avait plutôt de l’avance. Alors, je me suis réjoui car mon intention, en faisant ça, a toujours été de moquer les numéros d’intervention.

Le succès a été au rendez vous et pas mal d’artistes ont saisi qu’un spectateur ne pourra jamais égaler un vrai artiste.

Mais un deuxième malaise s’est installé dans mon cœur. Il y a vingt cinq ans, mon professeur de mime et moi avons été les premiers dans ce pays à proposer des spectacles où l’ont joue avec le public. Aujourd’hui tous les mimes colombiens de rue font ça sans avoir changé d’un iota la proposition initiale. Ils n’arrivent pas à saisir la différence qu’il y a entre copier et s’inspirer. Donc, je me demande ce qui que je vais trouver lors de mon retour dans vingt ans.

Le 21 novembre 2009

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