C’est un couple que tout unit et désunit. Tous deux rivalisent d’élégance, de dignité, de grandeur. Pour jouer une dernière joute, féroce et tendre, une danse macabre et noble. Pour dire et se dire les derniers mots de toute une vie, comme ceux d’une chanson d’amour et de haine. Tant que l’on se désire Avant que l’on se déchire (1).
Les sons, les mots sont ceux d’Alain Bashung. Paroles et musiques guident les deux partenaires. Ce sont elles qui désignent la promesse d’un instant, la descente aux enfers. Ce sont elles qui mènent l’homme et le cheval vers les impasses des grands espaces.
Au milieu de l’arène il y a un fauteuil de cuir rouge sombre où l’homme ne se repose jamais plus d’un instant. C’est un obstacle autour duquel le cheval se révèle, galope, dérive, obstacle devant lequel il s’immobilise. Quand la danse, quand la lutte reprend, l’homme s’accroche à la crinière de la bête, le cheval se frotte à l’épaule de l’homme, l’homme agite sa veste noire à doublure rouge sombre et le cheval s’enfuit. Parfois c’est l’homme qui chevauche, parfois c’est le cheval qui rêve. Un moment l’homme s’envole au-dessus de la piste, un moment le cheval se couche et attend. Sans cesse tous deux se quittent, sans cesse ils se retrouvent et l’un semble dire à l’autre :
il n’y aura jamais d’autre que toi en dépit des étoiles et des solitudes.
Il arrive que l’art du théâtre de rue efface, momentanément, à la fois le théâtre et la rue pour donner à voir quelque chose qui est de l’ordre de l’irréel, un autre monde, une face cachée de l’imaginaire, un continent à la fois puissant et à la dérive où résonnent des mots graves : Sauve-toi, sauve-moi Restons uniques, restons en vie. C’est à cet endroit que se tient la création de Thomas Chaussebourg. Et de son cheval. Sur ce continent où sonnent des ordres superbes comme celui-ci : Refusons en bloc les sentiments figés. Et cela jusqu’à en mourir, même si l’on ne veut pas s’y soumettre.
There’s a dark horse coming, I’m not ready to ride (2).
Parce que, même si l’on s’y refuse, il faut en finir un jour. Ou le faire croire. Le cheval, l’homme, leurs corps ont joué, tellement joué à se toucher, à s’effleurer qu’on ne sait plus très bien qui disparaît à la fin, en emportant une fleur pourpre. Et tandis que la musique s’efface, on voit encore le cheval noir, immobile, les sabots dans le sable gris de l’arène, il se tient droit, silencieux comme un homme debout au bord d’une tombe et qui dirait encore :
Je me tue à te dire qu’on ne va pas mourir.